L’Interview : Frédéric Landini (MIDI Festival)
L’Interview
Frédéric Landini
Le fondateur et programmateur du MIDI Festival se décrit comme un « music lover » et aime parler de « fantasme pop ». Nous avons profité de la première MIDI Night à Marseille pour revenir avec lui sur plus de huit ans d’aventures soniques.
Tu donnes l’impression de beaucoup t’impliquer, et d’une façon très personnelle, dans la programmation et l’organisation du MIDI Festival. Comment vis-tu l’expérience de l’intérieur ?
J’essaye d’assister à chaque concert, c’est important pour moi d’être au milieu du public, de voir comment les gens réagissent. Au début, j’étais troublé car les festivaliers ne dansaient pas tellement. Je voulais qu’ils aiment l’intégralité des concerts. Personnellement, j’aime la musique à travers de nombreux principes esthétiques et dans beaucoup de genres différents. Mais désormais, lorsque des connaissances viennent me voir et me disent qu’ils n’ont pas aimé tel concert, cela ne me fait pas me remettre en question, ce sont des réactions naturelles. C’est d’autant plus le cas maintenant qu’il y a un croisement de publics, entre celui des concerts de pop indé et celui des afters plus orientés électro sur la plage.
Fonctionnes-tu toujours à l’envie ou y a-t-il une désormais une plus grande part de calcul ?
Pour être tout à fait honnête, il y a deux, trois ans, j’ai considéré que prendre mon seul avis en compte n’était pas la meilleure des choses à faire. J’ai donc décidé d’ouvrir la programmation à deux autres personnes. Il y donc Olivier (L’Amateur) qui s’occupe entre autres des MIDI night. Contrairement à moi qui suis musicien, lui est Dj, et c’était important pour moi d’avoir quelqu’un à mes côtés qui ait une culture du single, et donc une vision différente portée sur la programmation. Je travaille également avec un gars de vingt ans, qui a une énorme culture musicale, avec qui je discute beaucoup. Il peut m’arriver de considérer que tel concert est très important, alors qu’il ne l’est que pour une génération qui ne va plus aux concerts. Pour revenir à la question, les motivations esthétiques et les convictions artistiques demeurent les mêmes, mais nous prenons en compte une notion globale de proposition. Nous voulons être les ambassadeurs des musiques émergentes. Nous n’organisons pas des événements juste pour se faire plaisir, nous travaillons pour que le public perçoive quelque chose.
Malgré le fait que le MIDI Festival soit bien relayé par les médias, on a parfois l’impression que le public est à moitié composé de journalistes et de blogueurs. Comment expliquer ce relatif insuccès populaire ?
L’année dernière, il y avait 7500 spectateurs sur trois jours. Et il n’y avait pas 3200 journalistes, il y en avait 100 ! Mais je suis d’accord avec toi, 7500, ça reste modeste. Cela dit, nous sommes aujourd’hui sur une dynamique, et par rapport à 2011, nous avons doublé le taux de fréquentation en 2012. Nous en sommes à la neuvième édition, c’est un tournant important dans notre histoire. Le MIDI est né comme un workshop, il n’y avait pas d’idée marketing, juste une proposition artistique en réaction à l’ennui et à la disparition du festival Aquaplanning, qui nous avait laissés orphelins. La première édition était gratuite et maintenant, nous ne faisons que doubler les jauges d’année en année. Nous nous développons, et déjà l’année dernière, j’espérais que l’édition 2012 serait celle du public. Nous allons ouvrir cette année un bureau de presse anglais, pour faire connaître le festival à plus de personnes encore.
J’imagine que les MIDI Nights à Toulon et à Marseille existent aussi dans cette optique de séduire tout au long de l’année un public plus large…
L’été, la moitié des festivaliers viennent de l’extérieur du territoire. Lorsque nous proposons les MIDI Nights durant le festival, elles font naturellement office d’after et elles font aussi venir plus de gens de la région. Le MIDI festival, c’est Hyères, le début de la Côte d’Azur, la Villa Noailles, c’est notre histoire. Les MIDI Nights, elles, vont s’exporter.
Tu sembles autant attaché à Hyères qu’au fait de rappeler la provenance des groupes que tu fais venir. Est-ce essentiel, à l’heure d’Internet, de dresser une carte géographique de la musique ?
J’ai grandi en province, et tout était plus lent, c’était vraiment la galère pour trouver de la musique. Aujourd’hui, tout va très vite, et pour certaines personnes de ma génération, c’est une catastrophe. En ce qui concerne les villes, c’est important car ça reste le lieu de vie des artistes. C’est leur vision du monde qui m’intéresse, et elle se construit à travers leur quotidien. C’est une idée un peu anglo-saxonne : les groupes anglais sont très fiers de leur ville. Mais on ne fait jamais de snobisme, on ne programme pas avec l’idée de ne faire venir que des groupes de Londres ou de Los Angeles. On souhaite juste resituer les lieux de création. A une époque, notamment depuis le concert d’Animal Collective, nous faisions venir beaucoup de musiciens de Brooklyn. Depuis The xx, nous sommes plus tournés vers la scène anglaise.
La soirée à Toulon avec Redinho et Cooly G a été retransmise sur Internet. On pense tout de suite au concept de Boiler Room. T’en es-tu inspiré ?
Bien sûr qu’en ce qui concerne la vidéo, on reste scotché aux sets de Boiler Room. Je ne sais pas si ça se fera à Marseille. Mais ce dont on a très envie, c’est d’une MIDI TV durant l’édition estivale. Il y a tellement de choses qui se créent à côté des concerts, je trouve ça dommage qu’on n’arrive pas à capter l’ambiance et l’émulation de ces trois jours de concert. Il y aurait un fil rouge avec un journaliste couvrant l’événement, et on pourrait également espérer retransmettre les concerts. Mais les groupes sont de plus en plus réticents à cette idée. D’une part, il y a les groupes qui débutent et qui ne sont pas toujours à l’aise sur scène, et d’autre part, il y a les groupes qui cherchent au maximum à garder le contrôle de leur image. On est passé d’une ère où un clip vidéo était pondu dès que les artistes allaient aux toilettes à une ère où tout est retenu, maîtrisé à l’extrême. Il n’y a plus vraiment d’intimité chez qui que ce soit, et les groupes se sont renfermés sur eux-mêmes, afin de recréer du désir et de la frustration…
Comme a pu le faire Wu Lyf ?
Exactement. Si Wu Lyf a été précurseur d’une nouvelle façon de (ne pas) communiquer, The xx étaient déjà des gens très timides qui abordaient la communication avec beaucoup de pudeur — c’est aujourd’hui très différent. Ça a été un miracle pour nous d’organiser leur venue en février 2010. Nous les avions bookés à l’automne, et entre temps, la cote de popularité du groupe a explosé. Nous avons vu arriver un groupe que nous n’avions pas acheté ! Mais pour en revenir à Wu Lyf, on ne trouvait rien sur eux. A peine un visuel. La toute première interview du groupe a d’ailleurs été faite chez nous, par Libération. La petite amie du chanteur avait une correspondante qu’on connaît bien dans l’équipe. Il était donc déjà venu à la Villa en 2008, et avait dit qu’un jour, il jouerait au MIDI Festival. Il est revenu avec Wu Lyf en 2010 et a demandé quelle sorte de journal était Libération. On l’a rassuré en lui disant que c’est un journal de gauche, et il est tout de suite tombé d’accord pour être interviewé par Sophian Fanen.
Il y aurait de quoi écrire tout un livre, rempli d’anecdotes sur les artistes invités à Hyères. Quelles sont, par exemple, les relations que vous avez entretenues avec Christopher Owens de Girls ?
Christopher est venu la première fois en 2006 avec Ariel Pink et Matt Fishbeck pour jouer avec Holy Shit. Matt l’avait repéré pour son look et voulait le faire jouer à la batterie. Sauf qu’il ne savait pas en jouer… Je m’étais même occupé d’une histoire à propos d’une boîte à rythmes… Bref, les relations n’ont pas été tout de suite excellentes. Holy Shit, c’était génial, ils étaient tous les trois talentueux, mais fous ! A l’automne 2007, Christopher m’envoie une chanson: Lust For Life. Je n’en croyais pas mes oreilles, mais j’avais des doutes sur son groupe. Puis il m’en envoie une deuxième, fantastique. Puis une troisième… Je lui demande s’il veut venir jouer l’été prochain. Je n’avais alors que 500 euros à lui proposer. Et si tu lui demandes, il te dit que venir jouer à Hyères a fait partie de sa décision de monter Girls. L’été suivant, le groupe débarque sans bagages ni instruments : les attentats de Londres venaient d’être déjoués, on a cherché leurs affaires pendant trois jours, ils ne les ont retrouvées que huit mois plus tard. C’était vraiment chaotique. Lorsque Girls est revenu jouer au MIDI Hiver en 2011, le groupe était reconnu, on allait enfin savourer notre plaisir. Personne n’imaginait que le concert pouvait mal se passer. Un couple ivre mort dansait juste devant Christopher, et arrachait, durant tout le concert, les fleurs accrochées au micro pour les lui jeter au visage. Vexé, il a voulu quitter la scène. Il a ensuite regretté son geste, et a pu discuter avec la fille après le concert. C’est quelqu’un de très sensible. Je n’ai pas eu ses confidences, mais l’ambiance du groupe n’était déjà pas super, et comme c’est lui qui écrivait toutes les chansons, je ne suis pas surpris qu’il ait décidé d’arrêter Girls pour démarrer une carrière solo. Par ailleurs, son album s’appelle Lysandre, du même nom qu’un membre de notre équipe, avec qui il a eu une histoire très puissante.
Il paraît que tu demandes depuis plusieurs années à Panda Bear s’il veut venir jouer. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lorsqu’il est venu avec Animal Collective en 2007, il avait deux autres projets: Panda Bear en solo, et Jane avec Scott Mou. Il a préféré faire le concert avec Scott… Je lui demande donc chaque année s’il ne souhaiterait pas revenir jouer en solo. Mais il décline toujours poliment. Il faut savoir que Noah Lennox déteste les concerts. Attention, il est toujours sincère lorsqu’il est sur scène, mais ça lui coûte beaucoup, c’est quelqu’un qui se pose beaucoup de questions. Et puis, avant d’être ce groupe que l’on connaît, Animal Collective n’était alors composé que de Noah et Avey Tare, et pendant cinq ou six ans, ils sont passés par les pires concerts imaginables. Mais leur vision du monde n’a jamais changé. Parfois, je trouve même ça exagéré, il serait temps qu’ils sortent enfin un album pop. Il faut se le fader, le dernier… Ils ont un peu une carrière à la Sonic Youth.
D’ailleurs, Lee Ranaldo et Thurston Moore ont tous deux joué à Hyères.. C’est une obsession chez toi, Sonic Youth ?
Hifiklub, un groupe qu’on connaît bien, avait collaboré avec Lee Ranaldo, et j’en ai profité pour demander à Lee de venir jouer ses titres de Sonic Youth à la guitare acoustique. Les gens ont perçu ça bizarrement, on m’a dit que c’était « Lee Ranaldo en vacances ». Mais comme si ça lui avait donné un second souffle artistique, il nous remercie désormais dans ses albums. Je compose mon booking au gré de mes envies. James Chance, par exemple, c’était un fantasme d’enfant. Il ne s’est pas battu avec le public, mais musicalement, c’est toujours la même chose : une énergie folle.
Avec Bon Iver et Primal Scream, le festival a pris le pari de têtes d’affiche « grand public »…
Nous voulons désormais proposer quelque chose de spectaculaire. C’est une notion qui a du sens par rapport aux concerts à l’Hippodrome. Mais on ne pourra plus accueillir Bon Iver. On est à la limite du mainstream, dans quelque chose de très codé, c’est trop lourd pour nous de gérer cela. On dit que c’est l’environnement qui conditionne un groupe, mais je pense plutôt que c’est le groupe qui définit l’environnement. Peut-être, plus tard, pourra-t-on recevoir ce genre de poids lourd ? Avec Primal Scream, c’était tendu aussi, mais ça reste rock’n roll. Ça se règle facilement.
A propos de ton groupe Get Back Guinozzi! : à quand le deuxième album ?
En fait, ça prend du temps de faire un disque. Le premier partait d’une intention plutôt DIY, avec des aller-retours Internet. Ce n’est pas ce qu’on voulait pour le second. De plus, entre Londres et Toulon, il est difficile de nous retrouver, avec Eglantine Gouzy, pour enregistrer. On veut vraiment quelque chose de plus fort en termes de son. Un maxi ne devrait pas tarder à sortir.
Y a-t-il d’autre soirées estampillées MIDI prévues avant l’été ? Et que peut-on annoncer au sujet de la programmation de l’édition 2013 ?
Il y aura sûrement d’autres MIDI Night, au moins une. Pour cet été, nous gardons la même formule, deux soirs à l’Hippodrome, et la soirée de clôture à la Villa Noailles. Il n’a pas confirmé, mais Christopher Owens de Girls viendra sûrement jouer le dernier soir. L’espace réservé aux afters à la plage sera agrandi, et il y aura un nouveau programme proposé le dimanche après-midi. Côté programmation, je ne peux encore rien dire, elle sera dévoilée en avril. Nous allons nous ouvrir à d’autres genres : il y aura par exemple du hip-hop et du r’n’b. Et nous attendons la venue d’une véritable légende de la pop anglaise… Il n’y pas vraiment de secret, j’aime bien laisser beaucoup d’indices sur le Net, il suffit de chercher…
Propos recueillis par Adrien Courteau-Birais