L’interview : Hugues Chabalier
Qu’est-ce qui crée le monde ? La parole. Un pouvoir magique qui prend toute sa mesure sur une scène de théâtre. L’écriture de Valère Novarina, considérée par certains comme une des merveilles du théâtre français, a souvent exploré cela. Dans Le Jardin de Reconnaissance, le dramaturge rend encore un hommage à cette parole qui est principe de vie. Et le metteur en scène Hugues Chabalier de lui rendre hommage à son tour aux Argonautes. Rencontre.
Quels ont été vos premiers contacts avec l’écriture de Novarina ?
J’ai été élève de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne de 2002 à 2005. En troisième année, on avait six semaines pour développer un projet. J’étais déjà attiré par l’écriture de Novarina, mais quand j’en parlais, tout le monde disait : « Novarina, c’est nul ! » J’ai voulu profiter de cette occasion pour lui rendre justice, et j’ai travaillé sur Vous qui habitez le temps.
D’après vous, pourquoi le théâtre de Novarina déchaîne-t-il autant les passions ?
J’aime énormément les textes de Novarina, alors ça me chagrine un peu quand je vois que certains y sont insensibles ou estiment qu’ils pourraient être écrits par un enfant de six ans, parce que ce n’est vraiment pas le cas… Son écriture s’apparente à de la poésie et je trouve ça attirant parce qu’au théâtre, en général, on veut du narratif : avoir une histoire, c’est rassurant. On a l’impression que l’auteur peut nous expliquer le monde, ou en tout cas nous donner quelques clefs. Novarina, ce n’est pas ça ! Il n’y a pas d’histoire qui va d’un point A à un point B… Ce sont plutôt des émotions traversées. Cela peut être pris sur un mode comique ou d’une façon plus « métaphysique ». C’est peut-être ce côté qui dérange certaines personnes. Pour que l’écriture de Novarina fonctionne, il faut que le spectateur se laisse porter. Et c’est à l’acteur de lui en donner les moyens.
Comment vous êtes-vous attaqué à cette langue ?
Novarina a une langue très riche, complexe, pleine de mots étonnants. Pour nous, une phase importante du travail a été de savoir exactement ce qu’on racontait pour que cette langue puisse être entendue et comprise le mieux possible. Mais, même de cette manière, certaines phrases paraîtront lumineuses pour certains spectateurs et totalement obscures pour d’autres. En même temps, la langue de Novarina exige un souffle : il y a de longues phrases sans virgules. C’est aussi un travail musical, qui nécessite beaucoup de concentration. Des acteurs m’ont raconté qu’ils butaient des heures sur une réplique, et le soir même, ils l’avaient oubliée… Un vrai cauchemar !
Vous avez fait de son paradis originel un lieu d’humanité…
L’écriture de Novarina est profondément humaniste. En fait, il essaie de définir l’homme au sens le plus étendu qui soit. Ça part de questionnements métaphysiques : qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que vivre avec ce fait d’être un homme ? Ce qui induit un questionnement important sur la disparition, la naissance et la mort. En réalité, l’humanisme est le point de départ du point de vue de Novarina sur le paradis originel.
Comment travaille-t-on pour mettre en scène un paradis originel ?
Il n’y a que très peu de didascalies, on n’a donc pas beaucoup de clefs pour interpréter. La première (longue) phase de travail, c’est l’apprentissage du texte. Et une fois que le texte est appris, il faut voir comment ça se joue. Il y a eu un long travail de recherche, d’improvisation aussi, parce que le texte n’est pas simplement là, il devient parole à partir du moment où il est pris en charge par l’acteur. Après, on s’est raconté, inventé notre propre jardin imaginaire, d’après celui de Novarina. On l’a voulu très simple, très épuré : ce qui compte pour nous, c’est le texte, et l’acteur.
On s’est beaucoup amusés, on s’est beaucoup pris la tête aussi… Les comédiens étaient toujours sur scène, ça réclamait une présence physique et morale assez importante. Mais à la fin, ce travail était propice à une jubilation des comédiens. Finalement, une fois passées les phases de travail difficiles, ce texte autorise une part de folie que les comédiens ont mais ne sont pas toujours autorisés à exprimer. Le jeu en vaut la chandelle !
A quoi les acteurs font-ils appel pour incarner ces hommes originels ?
On ne les a pas envisagés comme le véritable Adam et la véritable Eve. D’ailleurs, le texte n’invite pas à les voir comme ça. Novarina prend un prototype d’homme et un prototype de femme. Les acteurs n’ont donc pas à jouer un Adam ou une Eve, avec tous les clichés que ça peut induire : ils jouent l’Homme et la Femme. Au final, c’est plus lié à une expérience personnelle pour l’acteur. Ça donne un travail d’acteur plus sensible, plus intime.
Le Jardin de reconnaissance : du 3 au 5/02 au Théâtre des Argonautes (33 Boulevard Longchamp, 1er). Rens. 04 91 84 62 71 / theatrelesargonautes.free.fr/