L'interview : Joël Pommerat
Deux pièces de Joël Pommerat sont données à Marseille : Je tremble et Le Petit Chaperon Rouge. Deux œuvres mises en scène par leur auteur, qui évoquent quelque chose de l’ordre de la peur du monde et du désir de l’inconnu. Des pièces exigeantes qui prennent en otage des spectateurs assistant, parfois dans un noir presque total, à « une réflexion sur le monde et le spectaculaire le plus primaire, l’expérience d’une certaine immoralité. »
Vous collaborez de manière régulière et fidèle avec les mêmes acteurs et un théâtre en particulier, c’est primordial pour vous ?
Il existe un travail de longue haleine avec Dominique Goudal, la directrice du Théâtre de Brétigny-sur-Orge. A partir de 1995, cinq ans après la création de la compagnie, ce lieu a apporté un soutien régulier et fidèle. Cela a été un abri spirituellement parlant, mais aussi financièrement lorsque nous avons traversé des périodes difficiles. Chaque spectacle a été joué là-bas et c’est aussi pour moi un carrefour d’autres interventions : des ateliers d’écriture, des lectures, des courts-métrages. Le travail s’est organisé effectivement autour de rencontres avec une équipe envers laquelle je me suis senti à l’aise pour travailler dans la durée.
D’où vient le nom de la compagnie, Louis Brouillard ?
Il correspond à cet exercice obligé de nommer la structure à laquelle on appartient. Et je souhaitais un nom qui représente une personne imaginaire, un parrain, sans autre existence que dans ma tête. Quant au nom de Brouillard, il reflète peut-être certains principes esthétiques et poétiques de mon travail, c’est-à-dire l’indétermination.
Quel est le lien entre les deux pièces présentées à Marseille ?
L’une s’adresse à un public d’adultes et l’autre à des enfants, ou « pour tout public » comme on dit, mais le lien, c’est peut-être le conte. Dans Je tremble, il y a un maître de cérémonie, un conteur, qui s’adresse directement au public. Puis les personnages en chair et en os interviennent. L’incarnation se fait, mais on reste dans l’espace du conte, même avec des histoires touchant à la réalité sociale et au monde d’aujourd’hui. Et le Petit Chaperon Rouge est une histoire racontée elle aussi, avec de multiples versions, car c’est un récit très connu.
Quelle est la relation avec la peur, apparemment très présente dans ces œuvres ?
C’est la relation avec des émotions et des états primaires fondamentaux. Selon moi, la peur a à voir avec la condition humaine en général. L’être humain est placé dans un monde dont il ne connaît pas les contours, assigné à une condition dont il ignore l’origine et la finalité, installé dans une spéculation liée à cette méconnaissance. Cela peut placer chaque individu dans l’état d’un personnage immergé dans une forêt dont il ne connaît pas les limites. Cet état, cette relation au monde est proche de l’inquiétude, de l’angoisse. Mais il y a aussi quelque chose de merveilleux dans cette incertitude : la place pour l’imaginaire et la création. Le travail sur Le Petit Chaperon Rouge peut s’inscrire éventuellement dans un mythe familial : l’histoire de ma mère, alors qu’elle était petite fille, parcourant chaque jour six kilomètres à pied, seule dans la campagne, pour se rendre à l’école. Mais c’est évidemment après coup que l’on réalise cela. La primauté est d’accomplir le travail d’écriture et de mise en scène, d’aller au bout d’un sujet qui m’habite. J’ai tout simplement obéi à ma fascination pour ce sujet.
Vous publiez les textes de vos pièces, mais vous avez déclaré récemment que « le théâtre n’est pas de la littérature mise en scène. » Quel rapport entretenez-vous avec l’écriture et le théâtre ?
Le théâtre, c’est mon monde, l’espace où j’ai pris le temps de m’immerger dans la création. C’est un tout autre espace que celui de la littérature, même si ce sont des mots, même s’ils sont fixés car oui, les textes sont publiés. J’essaie de comprendre le théâtre jusqu’au bout : je ne me soucie que de l’écriture théâtrale, même si j’ai pris le temps de m’interroger sur le cinéma. Je ne veux pas me disperser, mais approfondir cette recherche.
Vous avez également déclaré : « Je ne veux pas être dans le commentaire de mon travail »…
Effectivement, je considère que chacun doit faire son travail. Je m’occupe de produire des œuvres puis de les soumettre au regard des autres. J’accepte et je revendique le droit d’être critiqué, mais je ne souhaite pas être dans la justification de mon travail. Il y a cette tendance-là, dans l’art en général, dont il faut sortir, cette tendance à devoir ou vouloir justifier sa production. Un spectacle, cela se justifie en soi ; on reçoit ou pas quelque chose et c’est tout.
Propos recueillis par Bénédicte Jouve
Photo : Ramon Senera
Je tremble, les 5 et 6/05 au Théâtre du Merlan. Rens. 04 91 11 19 20
Le Petit Chaperon Rouge, du 5 au 7/05 au Théâtre Massalia. Rens. 04 95 04 95 70