L’Interview : Josette Pisani (marseille objectif DansE) pour La Friche dedans/dehors, comme on ne la verra plus
A l’approche du réaménagement architectural des espaces de la Friche, marseille objectif DansE détourne la réalité pour en proposer une autre perception, imaginée par des artistes à la rêverie confirmée. Ephémère espace-temps fait de performances et d’installations poétiques, La Friche dedans/ dehors ouvre les fenêtres de ces paysages en devenir.
Les artistes qui vont réinvestir les différents espaces de la Friche vous sont fidèles de longue date… Quel sens donnez-vous à leur programmation ?
Je ne me suis pas posé la question de la fidélité. Je ne me la pose jamais pour concevoir nos programmations. Je pars toujours du travail, de « l’œuvre ». Pour ce temps fort, l’idée était d’investir des espaces avant leur transformation, de les faire connaître à travers le prisme de propositions artistiques capables de les révéler suivant des points de vue différents, d’en donner une perception sensible. J’ai donc choisi des propositions qui mettent en perspective ces « espaces perdus » (pour citer Claude Régy), inhabités, immenses, et qui ne reproduisent pas le cadre théâtral.
Mark Tompkins a investi le chantier de la Cité Internationale à Paris pendant trois ans. J’ai assisté à quelques « visites ». Il est chorégraphe, mais c’est aussi un très grand performeur, qui aime se confronter au vide. Friche Forêt est un joli titre qui joue avec l’espace investi, incroyablement nu, une forêt de poteaux.
J’ai vu As far as the eye can hear, trio en plein air de Martine Pisani, l’an dernier dans un parc, près de Paris. Ce que met en jeu la chorégraphe est la construction d’un paysage dans un autre paysage, existant. J’ai pensé intéressant de le lui faire relever ce défi — cette « ambition » comme elle dit —, dans le « paysage » du site de la Friche, qui n’a rien d’un jardin ou d’un parc.
Je connaissais les images de l’installation Ice Dream de Daniel Larrieu. Voir Daniel danser sur la glace au milieu de la banquise est déjà en soi une curiosité, un frisson. Découvrir ces images — si éloignées de notre environnement naturel, et a fortiori de celui de la Friche — flotter au beau milieu d’un espace non délimité, a quelque chose de magique et amène à une rêverie, une échappée hors temps, hors repères.
Quant au groupedunes, quoi de plus naturel que de les inclure dans ce temps fort, qui est quasiment un hommage au site lui-même ? Depuis 1999, Madeleine Chiche et Bernard Misrachi investissent le toit de la Friche (de 8 000 m2), sur lequel ils ont déjà conçu quatre installations. C’est un peu leur domaine privilégié, leur terrain de « jeu ». Je ne pense pas que beaucoup d’artistes souhaiteraient se confronter à une telle démesure, avec les moyens qui sont les leurs, et/ou réussiraient une production à l’échelle comme ils le font.
Comment définiriez-vous « l’esprit moD » ? Quelles en sont les valeurs ?
Je crois aux actes plus qu’aux déclarations d’intention. « L’esprit moD » est contenu dans ses choix, ses propositions et la manière de les mettre en œuvre. Et pour tenir ses enjeux fondateurs durant plus de vingt-quatre ans dans une fragilité budgétaire permanente, il lui a fallu une bonne dose de persévérance, de combativité et aussi beaucoup d’humour, de souplesse et de légèreté. Quant à ses valeurs, les termes qui me viennent à l’esprit sont engagement et respect : envers les artistes ; envers les œuvres et leurs conditions de production et de diffusion ; envers les publics ; envers les partenaires avec lesquels nous travaillons.
2013 approche, et pourtant les espaces de création marseillais n’ont jamais semblé aussi précaire. Pensez-vous que la capitale culturelle européenne saura réoxygéner les initiatives artistiques et culturelles du territoire ?
Je ne sais pas. Je l’espère, à l’instar de tous les acteurs culturels du territoire. Mais 2013 risque, comme on l’a vu dans d’autres capitales européennes — Lille y compris, même si on n’en parle jamais —, de voir disparaître certaines initiatives… Nous ne sommes pas maîtres des décisions, qui relèvent des politiques. Je ne me focalise pas sur 2013, qui représente en effet une belle opportunité de réoxygénation. Mais une politique culturelle ne se résume pas à un événement, elle doit être visionnaire.
Mais avez-vous des projets pour cette date ? Et pour après ?
Nous portons deux très beaux projets. A ce jour, nous ne savons pas s’ils seront ou non « labellisés ». Le premier, autour du Black Mountain College, conçu avec le cipM, a été déposé il y a exactement trois ans. 2013 était pour nous l’opportunité de créer un événement ambitieux, unique (puisque rien n’a vraiment été fait sur le BMC), qui aurait drainé des publics venant de l’Europe entière, voire des Etats-Unis. De nombreux intellectuels, philosophes, artistes de toutes disciplines, architectes et poètes nous ont manifesté leur enthousiasme et assuré de leur soutien. Hélas, il est déjà trop tard pour imaginer qu’il puisse se dérouler dans la forme que nous avons conçue. Nous le réaliserons malgré tout — nous y travaillons — même si l’ambition qu’il porte est revue à la baisse, faute de moyens.
Le deuxième, Le cercle de craie, en référence à l’ouvrage Bréviaire méditerranéen de Predrag Matvejevitch, a été conçu avec L’Officina. Il s’intéresse, entre autres, aux notions de frontières, à travers celles de la Méditerranée dans la région des Balkans.
L’avenir se construit au jour le jour et notre ici et maintenant exige une grande attention et beaucoup d’énergie, car notre équipe est trop réduite (trois permanents). La structuration de cette équipe, la stagnation de nos budgets depuis plus de dix ans et la fin des aides à l’emploi sont nos seules préoccupations, car en matière de projets, tout va bien : nos têtes et nos bureaux en sont pleins !
Propos recueillis par Joanna Selvidès
La Friche dedans / dehors, comme on ne la verra plus : du 21/05 au 10/06 à la Friche la belle de Mai (41 rue Jobin / 12 rue François Simon, 3e). Rens. Marseille Objectif Danse : 04 95 04 96 42 / www.marseille-objectif-danse.org