L’Interview : Macha Makeïeff
C’est l’invitée surprise de la prochaine saison culturelle à Marseille. La future directrice de La Criée revient sur sa candidature, son projet, et annonce ses ambitions pour le CDN posé face à la mer.
Pourquoi avoir fait acte de candidature à La Criée ?
C’est la vraie question et elle est derrière moi. Je suis déjà dans le temps de l’action. Pourtant, cette décision a été d’abord troublante, puis envahissante, enfin exaltante ; la rédaction du projet a été la réponse claire. A ce moment de ma vie, une mission pour cette ville et ce théâtre a pris tout son sens. J’ai avec Marseille des liens très forts, fondateurs, artistiques, affectifs et humains. J’y ai eu des expériences fondatrices, déterminantes, qui ont nourri mon travail artistique jusqu’à aujourd’hui. Cette maison qu’est La Criée est à réinventer avec force et fantaisie. C’est affaire de conviction et désir.
Dans la charte établie pour les Centres aramatiques nationaux, le choix des personnes appelées à assurer les responsabilités de direction se fait nécessairement sur un projet d’orientations artistiques, pédagogiques et culturelles. Sur quels projets pensez-vous que votre candidature a été retenue ?
Ce projet, je l’ai imaginé, rédigé et défendu selon la procédure républicaine actuelle. Il a convaincu. J’y défends une haute exigence artistique et une maison généreuse aux artistes, ouverte aux esthétiques diverses, une politique de créations, de diffusion, de tournées. Il m’importe d’affirmer son vrai rayonnement d’abord régional, et aussi un ancrage national et européen, une évidente orientation méditerranéenne. Sans doute, ont convaincu mes expériences personnelles des différents plateaux de théâtre, d’opéra, des lieux d’exposition, de la gestion d’une compagnie et d’une troupe, de direction artistique. La volonté d’imprimer à cette maison une humeur singulière, mêlant fantaisie et étonnement, de l’ouvrir à des publics élargis. La transmission est une chose qui m’importe. Faire de La Criée un lieu de création qui résonne, et qui compte sur le plan national et international, attirant artistes, partenaires, mécènes et média. Pour le détail de la programmation et des évènements que je suis en train de construire, je dévoilerai tout cela par le menu à l’annonce de ma première saison.
Comment envisagez-vous La Criée dans la perspective de Marseille Provence 2013 ? Et après ?
Marseille 2013 est un défi immense et une chance historique pour La Criée qui va retrouver et affirmer une place centrale dans la ville et dans l’évènement lui-même. On sait l’importance de la fonction du théâtre dans la cité. La Criée et son équipe vont se mobiliser, participer à rendre lisible l’identité singulière de Marseille, méditerranéenne et ouverte, originale, et de ses artistes. Il ne s’agit pas seulement de l’opportunité d’être dans la lumière, sous les regards des Européens durant quelques mois, mais encore de rendre pérennes les évènements qui vont être initiés, les liens qui vont s’inventer. C’est une vision que je partage avec Bernard Latarget.
Que pensez-vous du contexte culturel marseillais ? Du réseau professionnel culturel ?
Je le redécouvre de plus près. Il est riche, foisonnant. Il a quelque chose d’un archipel. Je sens nombre de très belles personnalités, passionnées, mais souvent isolées dans leur projet. Sans doute y a-t-il du lien à créer, quelque chose à fédérer. Imaginer une nuit des théâtres par exemple… Je me réjouis de rencontrer bientôt Nathalie Marteau, Apolline Quintrand, Marie-Paule Vial, Hubert Colas… et nombre d’autres acteurs qui comptent à Marseille et qui déjà me font signe… et de m’attacher le regard et la complicité de nombreux amis chers, artistes marseillais et acteurs culturels.
Avez-vous justement des affinités avec certaines structures ? Le cas échéant, comptez-vous mettre à profit ces affinités pour mutualiser vos compétences et réaliser des projets communs ?
Les liens me semblent naturels, particulièrement avec le Gymnase et Dominique Bluzet. Mutualisation des ateliers, logistique, complémentarité des programmations et des équipements des scènes marseillaises et régionales doivent être mis en place et confirmés, et j’y travaillerai. Je souhaite tisser des liens féconds avec les maisons d’art de la ville, l’Opéra de Marseille, les musées, la Friche, les galeries, les revues et les écoles d’art, et encore avec d’autres lieux — parce que l’art est une réponse vive à toute forme de désespérance, prison et hôpital. La Criée a vocation à être généreuse, à inventer et coproduire avec d’autres lieux de création de la région.
Quels sont les auteurs vivants que vous affectionnez particulièrement et dont on pourrait espérer voir les textes sur le plateau ces prochains mois ?
Mon goût et mon expérience vont spontanément vers des écritures scéniques contemporaines non textuelles, qui s’écrivent comme des partitions ; mais les auteurs dramatiques actuels auront leur place à La Criée ; c’est une part de notre mission que de les accompagner, et j’espère même en découvrir ! J’aime à imaginer des performances qui mêlent l’écriture dramatique et d’autres expressions contemporaines.
Quel est le budget de la Criée pour ces prochaines années ?
Il est actuellement de 3,7 millions. Je serai en place en juillet, et dès à présent, je travaille à défendre une montée en puissance des financements de l’Etat, de la Ville, et aussi des collectivités locales que je finirai bien par convaincre de rentrer dans l’histoire de La Criée et de contribuer à son rayonnement, tout comme de grands mécènes, même si la conjoncture économique actuelle n’est pas des plus faciles. C’est aussi une part de ma mission que cette prospérité que je ne négligerai pas. La diffusion et une politique de coproductions solides sont essentielles.
Propos recueillis par Joanna Selvidès (avec CC)
Celle par qui le scandale arrive
La nouvelle est tombée le 4 janvier au soir : après moult tergiversations et revirements, le ministère de la Culture a annoncé que Macha Makeïeff dirigerait La Criée à partir de juillet prochain. Une décision qui en a surpris plus d’un — à commencer par Catherine Marnas, grande favorite à la succession de Jean-Louis Benoît — et qui suscite une vive polémique au sein du landernau théâtral marseillais.
« Nous avons été amenés à rêver, à bâtir, à partager, à rencontrer de nouveaux interlocuteurs, tant d’instants fragiles et fugaces qui font le sel de la vie d’une compagnie. Et surtout, nous avons eu le plaisir de voir l’enthousiasme suscité par notre projet. Mais nous ne cachons pas notre évidente déception ; sur le mode de décision il y aurait beaucoup à dire. » Catherine Marnas peut se montrer amère. Avant Noël, la nomination de la metteuse en scène — dont tout le monde, ministère et collectivités locales en tête, jugeait le projet remarquable — semblait pourtant assurée, Macha Makeïeff se voyant proposer de son côté la direction de l’Opéra de Marseille.
Comme le veut la procédure, les deux professionnelles — ainsi que Simon Abkarian — avaient été auditionnées le 5 octobre dernier par un jury composé de représentants de l’Etat et de la municipalité, qui devait rendre publique sa décision dans les jours suivants. C’est finalement au bout de trois longs mois que le verdict est tombé. Une décision d’autant plus incompréhensible pour le milieu théâtral que la directrice de la compagnie Parnas, Marseillaise bien implantée dans la région, avait les faveurs et de Jean-Claude Gaudin et de Frédéric Mitterrand. Pour le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), auteur d’un communiqué cinglant, comme pour une partie de la presse nationale (rue89, Mediapart, Télérama…), la réponse à ce soudain revirement se trouve dans les plus hautes sphères de l’Etat.
Au-delà de la déception des partisans de Catherine Marnas, cette décision suscite de vives inquiétudes. D’une part, il est probable que le Conseil régional ne participe pas au budget du Centre dramatique national, Patrick Menucci ne mâchant pas ses mots quant à une intervention de l’Elysée en faveur de Macha Makeïeff. D’autre part, on doute des capacités de la cofondatrice des Deschiens — certes née à Marseille, mais dont l’implantation dans le milieu culturel local laisse à désirer — à surmonter les difficultés du théâtre phocéen, déjà fragilisé suite à la découverte de traces d’amiante et la fermeture de sa grande salle fin 2008. Souhaitons que Macha Makeïeff, remerciée avant terme du Théâtre de Nîmes pour « absentéisme », fera honneur à sa ville natale.
CC