L’interview : Mireille Guerre (Théâtre des Bernardines) pour Les Informelles / Arrêtons le gaspillage
Deux espaces : les Bernardines, la Gare Franche. Deux semaines de travail pour des artistes aux horizons très divers, et quelques jours au public pour en apprécier la mesure. Partout, une même ambition : trouver un côte à côte sans coude à coude, histoire de prendre le temps de repenser le nôtre. Tels sont les enjeux de la nouvelle manifestation proposée par l’Ancien couvent du boulevard Garibaldi, qui fusionne ses deux principaux événements, les Informelles et Arrêtons le gaspillage.
Comment est née l’idée d’une combinaison entre les deux temps forts annuels des Bernardines ? Peut-on parler de fusion des projets ?
Depuis quelque temps, l’économie du spectacle vivant subit de telles transformations que nous voulons poser de façon ouverte les questions qui nous animent. Nous les mettons à jour publiquement, allant jusqu’à y consacrer un temps au cœur des Informelles.
Les Rencontres de mars 2010 ont été pensées en ce sens, avec une question lancée sous forme d’injonction : « Arrêtons le gaspillage ». Une thématique abordée à travers la reprise de six spectacles et une réflexion menée sur le temps et son usage dans nos métiers. Déjà, nous avions pour ligne de conduite d’inviter des personnes venues d’autres secteurs d’activités.
Cette année, nous rassemblerons, toujours autour du philosophe Heinz Wismann, Elisabeth et Patrice Meynet (agriculteurs et éleveurs), Lazare (auteur et metteur en scène), Eric Kérimel de Kerveno (Directeur de HAS – Habitat Alternatif Social), Jacques Rebotier (auteur, acteur, compositeur), Paul Polis (vétérinaire homéopathe), Pascale Bongiovanni (technicienne, créateur lumières), Hélène Milano et Volker Koepp, réalisateurs de cinéma.
Il s’agira d’interroger à nouveau l’économie du spectacle vivant, en la confrontant à d’autres pratiques et en prenant appui sur deux films documentaires. Le premier, Les Roses noires, d’Hélène Milano, montre des jeunes filles des banlieues de Paris et des cités de Marseille, et leur rapport à la langue des cités, qu’elles ont faite leur. Le second, Fleur de sureau de l’Allemand Volker Koepp, évoque l’enclave de Kaliningrad et un groupe d’enfants furieusement vivants au milieu d’adultes qui ont abandonné la partie. Dans les deux cas, il est question de dépossession, de temps, de langue, d’espace.
Qu’espérez-vous faire entendre au public par le choix de ces œuvres et, surtout, par leur promiscuité spatio-temporelle ?
Au-delà des œuvres, c’est un esprit que les Informelles mettent en jeu ici. Comment on se tient ensemble, comment cohabiter. Les artistes qui interviennent sur le plateau unique aux Bernardines sont invités à travailler à la lumière de ces préoccupations. C’est une façon d’aiguiser le partage artistique. Avec le plateau unique, le spectateur assiste à quatre projets présentés à la suite dans la même soirée. Chaque projet garde sa singularité et ce qui fait spectacle, ce sont évidemment les propositions, mais aussi les endroits d’ajustement que les artistes auront trouvés, ce que Jacques Rebotier, Pascale Bongiovanni, le Collectif Terrain Vague et Christian Mazzuchini vont inventer pour habiter ensemble la scène.
Cet « habiter ensemble » aura pris une autre forme, la première semaine, à la Gare Franche.
Là, les mêmes artistes auront donné d’autres rendez-vous en accord avec l’endroit. A ces artistes, il faut rajouter Marie Lelardoux, en résidence depuis plusieurs semaines. La Gare Franche, lieu improbable et réjouissant, est une ancienne usine implantée dans des jardins, située dans le quinzième arrondissement de Marseille. Une collaboration serrée s’est tissée avec Wladyslaw Znorko et son équipe.
2013 approche, et pourtant la précarité semble n’avoir jamais été aussi grande pour les théâtres marseillais. Pensez-vous que l’Année Capitale saura ré-oxygéner les initiatives artistiques et culturelles du territoire ?
Certes, la précarité n’a jamais été aussi grande pour les théâtres, mais n’oublions pas qu’elle l’est encore bien plus pour les compagnies ou d’autres secteurs d’activité et que, au-delà de nos frontières, ce n’est pas mieux, sinon pire. Donc relativisons, restons conscients des vraies difficultés ! Cela dit, 2013 peut être une chance aussi bien qu’un assommoir.
Soit l’équipe de MP 2013 s’appuie réellement sur le terrain et les « acteurs » (et pas forcément les plus « gros ») qui le connaissent, les mieux à même de créer des connexions fortes entre ce qui se fait ici et ce qui se fait ailleurs. Soit 2013 se vit trop sous le signe du programmatique, en étant le fait des structures les plus reconnues institutionnellement (qui, le plus souvent, ne se préoccupent qu’à la marge de l’artistique existant sur le territoire) ou celui de l’équipe organisatrice, transformée pour l’occasion en programmateurs.
Si cette deuxième tendance l’emporte, on risque fort, après la fête, d’avoir des lendemains qui déchantent.
Quels sont vos projets pour la Capitale de la Culture ? Et pour après ?
Nous comptons profiter de l’année capitale pour marquer un tournant fondamental, sous l’auspice du « vivre ensemble », à mettre, pour 2013 et la suite, en regard d’un public le plus diversifié possible, la recherche théâtrale la plus poussée… et la plus généreuse possible.
Sinon, nous avons déposé deux projets auprès de MP 2013 : « Habiter l’inhabituel », avec Redplexus Ornicart sur la nécessité actuelle d’investir des espaces et/ou des moments inhabituels pour retrouver des rapports forts de « partenariat » avec (des) public(s) ; et « Try-Angle », des laboratoires européens menés en collaboration avec le Tanzhaus de Düsseldorf et l’Espaço-do-tempo de Montemar-ô-nuevo (Portugal). La phase finale devrait se dérouler à Marseille en fin d’automne 2013. Ce projet, financé par l’Europe à hauteur de 200 000€ (47% du budget), est arrivé en tête de liste des projets aidés par la commission avec 99% d’avis favorables.
Propos recueillis par Joanna Selvidès
Les Informelles / Arrêtons le gaspillage : jusqu’au 21/05 à la Gare Franche (7 chemin des tuileries, 15e) et du 22 au 28/05 aux Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er). Rens. 04 91 24 30 40 / www.theatre-bernardines.org