Pedro, alias Moondawn, a une actualité assez dense ces temps-ci. Après un concert au GRIM en décembre, un autre avec Eastern Committee au Point de Bascule fin janvier, il s’apprête à jouer à jouer à l’Enthröpy et à la Tapis Vert Gallery avant d’entamer une tournée française pour défendre son dernier maxi, Neoliberalisme Destroyed My Life. En y développant une folk classieuse, dans une démarche éloignée de son groupe de rock argentin Los Alamos, il rassemble ses références musicales en une identité bien perceptible. Aussi à l’aise à la guitare qu’en interview, c’est dans le brouhaha du Longchamp Palace qu’il a accepté de nous répondre.
Le pseudo de Moondawn fait-il référence à Moondog ou à l’album de Klaus Schulze, sorti en 76 ?
J’ai un peu écouté Tangerine Dream, mais Klaus Schulze en solo ne compte pas vraiment parmi mes influences, c’est trop progressif pour moi. Quand je cherchais un pseudo pour mon projet, j’ai vu ce disque, Moondawn, chez les bouquinistes, et la photo du dos de la pochette m’a marqué, avec Schulze et ses énormes synthés. Mais j’adore Moondog, c’est un peu un clin d’œil, d’autant que le mot lui-même me plaisait, facile à prononcer pour tout le monde.
Le titre de ton dernier maxi verse aussi dans la référence : la bio du guitariste John Fahey s’appelle How Bluegrass Destroyed My Life…
Je lisais le bouquin pendant l’enregistrement et j’ai voulu rendre hommage à Fahey, que j’adore. Et surtout, sans que cela tourne au pamphlet, je voulais parler de la situation en Argentine en 2001, qui connaissait une grosse crise économique. A cette époque, j’économisais pour préparer une tournée en Europe et à cause de la crise, mes économies ne valaient plus rien. Je voulais en parler, mais sans que cela monopolise les paroles.
Est-ce donc à cette époque que tu as commencé à composer ces morceaux ?
Non, c’était juste le moment où j’ai commencé à envisager de faire de la musique en solo. Les morceaux de cet album ont été composés à Marseille, où j’habite depuis trois ans.
Comment se fait-il que tu aies atterri à Marseille ?
Un peu par accident en fait, je voulais quitter l’Argentine et découvrir une autre culture. Il semblait nécessaire de renouveler l’énergie. Ma femme étant française, nous avons vécu ensemble quatre ans en Argentine et sommes venus nous installer ici.
Ta femme fait d’ailleurs partie de Eastern Committee. Avez-vous monté ce projet en Argentine ?
Au début, elle jouait de la flute et du clavier dans un autre groupe plus orienté post-rock, et moi dans Los Alamos. Petit à petit, on a commencé à faire de la musique ensemble à la maison. Mais c’est en France qu’on a vraiment travaillé pour que cela devienne un vrai groupe et faire des concerts.
Los Alamos, ça avait l’air de bien marcher en Argentine. Des vidéos sur le Net vous montrent dans de grandes salles quasi combles…
Oui, on était l’un des groupes indépendants les plus importants du pays. On sortait des albums autoproduits et ça marchait pas mal. On jouait souvent devant mille personnes, et pour les « mauvais » concerts, dans les 300… Ici c’est différent, 250 personnes pour un groupe indépendant, c’est énorme !
Los Alamos et Moondawn sont assez différents au niveau musical, mais aussi dans le message. Los Alamos paraît plus engagé politiquement, non ?
Il y a un côté plus rock dans Los Alamos, voire « festif », mais les textes peuvent parler de situations politiques complexes. Moondawn est plus intimiste, mais il y a ce facteur commun : le côté sombre de la société que j’observe.
N’es-tu pas aussi un acteur de cette société ?
Oui, j’essaye de m’y insérer pour pouvoir la comprendre. J’ai toujours détesté les paroles des groupes qui parlent d’heroic fantasy, les mecs qui veulent chasser les dragons ou aller dans l’espace. C’est cool de vouloir aller dans l’espace, mais il faut avoir fait des études (rires). J’essaie d’écrire quelque chose de crédible et réaliste.
Tu sembles avoir une culture musicale pointue et très éclectique. Comment gères-tu tes références en tant que musicien ?
Je ne pense pas choisir mes références, ce sont elles qui me choisissent. A partir du moment où je commence à composer, ça vient tout seul, et parfois, je me dis « Tiens, ça me fait penser à telle chanson »… Je citerais John Coltrane et son disque Ascension comme influence importante. Mais il y a des choses que j’évite, comme intégrer de la cumbia des années 60 ou du krautrock dans ma musique. Bien que j’adore les deux.
On a souvent classé Moondown dans le « folk drone ». Ces deux styles sont pourtant très différents…
Le drone, on le trouve de partout. De toute façon, je l’envisage comme un genre à part entière. Par exemple, écoute (bruit de ventilateur dans le bar), ça, c’est du drone. Comme les travaux, les voitures, le train qui passe… J’aime bien mélanger cette conception des sons ambiants avec de la folk. J’ai aussi écouté pas mal de trucs assimilés au drone quand j’étais ado : Melvins, Black Sabbath… Spacemen 3, qui a fait quelques albums dans ce genre-là, est l’un de mes groupes préférés. Le live Dreamweapon, c’est quand même bien étrange. On dirait La Monte Young avec un groupe de rock.
Comme le Metal Machine Music de Lou Reed.
Exact. Cette pochette, où l’on voit Lou Reed avec ses lunettes noires et sa veste en cuir, me fait rire. On dirait un disque de variété. J’adore l’histoire de cet album. Il paraît qu’à sa sortie, il était orné d’un sticker portant l’inscription « Number of hits : none ».
Tu fais aussi partie du collectif marseillais Microphone Recordings. Comment s’est passée votre rencontre ?
Quand je me suis installé en France, je continuais de m’occuper de la partie musique d’un site argentin et je cherchais à connaître la scène locale pour pouvoir en parler et organiser des concerts. La première personne que j’ai rencontrée, c’était Philippe Petit, bien connu avec ses labels Pandemonium et Bip-hop. Il m’a conseillé d’aller au GRIM écouter Lightning Bolt qui y jouait la semaine suivante, mais également d’aller à l’Embobineuse voir Oh! Tiger Mountain… Je suis donc allé voir tous ces gens, on a organisé des concerts avec ma femme (les soirées Sonic Boom à l’Enthröpy), notamment avec O!TM, qui a attiré un monde incroyable. Ensuite, j’ai rencontré Johnny Hawaii… Maintenant, mon disque fait partie de leur catalogue. Quand on parle de Microphone Recordings, les gens savent de quels artistes il s’agit, donc c’est plutôt cool.
Où en es-tu avec tes projets ?
En ce moment, je suis en train de copier des cassettes à la maison, j’en ai trouvé trente ! Je prépare une nouvelle sortie, Dead to Bono, Back To Mono, répertoriant dix ans d’enregistrements. Une face correspondant à 2001, l’autre à 2011.
Bono est au courant ? Tu n’as pas peur d’un procès ?
Non. Au contraire, c’est lui qui m’a conseillé ce titre (rires) ! En fait, il a dit une grosse connerie la semaine dernière et ça m’a énervé. Il disait défendre la loi SOPA, qui est en train de passer aux Etats-Unis… Déjà que je trouvais le mec dégueulasse à la base… Il est multimilliardaire, il ne sait pas de quoi il parle.
Justement, les albums de Los Alamos, Moondawn et Eastern Committee sont distribués gratuitement sur Bandcamp…
Effectivement, j’avais même mis mes albums en téléchargement sur Megaupload, mais maintenant, c’est foutu. Merci Bono !!! Ça me rappelle 2001, lorsque Metallica a intenté un procès contre Napster. Ça m’a rendu furieux. J’en ai jeté leurs albums à la poubelle ! Le téléchargement gratuit a permis aux petits artistes de se faire connaître de manière indépendante, et de démocratiser le rock.
Revenons-en à tes sorties futures…
J’aimerais trouver un distributeur pour mes albums, pour qu’ils sortent en vinyle. J’ai envoyé des disques un peu partout, même au Japon ! D’ici le mois d’avril, j’ai dix dates prévues entre Paris, Lyon, Toulon… et après, je pars en Argentine avec Los Alamos. J’en profiterai aussi pour faire quelques dates en solo dans la périphérie de Buenos Aires. J’ai aussi un autre disque qui devrait sortir après la tournée si quelqu’un est intéressé. Ce sont six morceaux enregistrés pour Neoliberalisme lors des mêmes sessions au GRIM, et celui-là sera titré en espagnol, de façon critique envers l’église catholique : Visiones de Una Iglesia en Llamas. Mon pote Samy, qui a fait le mixage, trouve que ça ferait un super titre de black metal (rires) : Visions of a Church in Flames !
Ça va faire de toi le Burzum argentin (1)…
(rires) En Argentine, il y a ce plasticien, León Ferrari, qui fait de la sculpture et des installations sonores. Son fils s’est fait tuer dans les années 70 par les militaires. Chose courante. L’année dernière, il a fait une expo à Buenos Aires avec des images de Jésus et de la Vierge. Une expo qui a beaucoup choqué, un peu comme le Piss-Christ de Serrano à Avignon. Et le maire a interdit l’exposition. Il faut savoir que le maire de Buenos Aires a un pouvoir très important, lié avec les extrémistes religieux. Même si l’Argentine est devenue une démocratie, il y a toujours des groupes de pression extrémistes. Ce sont des choses que l’on retrouve aussi dans d’autres démocraties…
Pour finir, quels concerts t’ont marqué ces derniers temps ?
L’année dernière, j’avais vu Godspeed you! Black Emperor et ça a été une grosse claque. Plus récemment, j’ai adoré le concert d’High Wolf à l’Embobineuse pour le festival Nuit d’Hiver du GRIM, mais aussi William Tyler à l’Enthröpy, un concert avec plus de chiens que de personnes dans la salle ! (rires)
Propos recueillis par Nicolas Debade
Photo : Julia Lopez
Rens. www.myspace.com/moodawnmusic
En concert avec Yann Sonic, Sunday Sunday !! et Cavale le 8 à l’Enthröpy (1 rue Consolat, 1er).
Rens. www.enthropy.fr
En concert avec Le Groupe de Bamako, le 11 à la Tapis Vert Gallery (41 rue du Tapis Vert, 1er).
Rens. 06 77 61 09 97
- Projet solo de black metal du Norvégien Varg Vikernes, condamné en 1994 pour incendie volontaire de quatre églises[↩]