L’interview : Philippe Petit

L’interview : Philippe Petit

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Non seulement incontournable au niveau local, Philippe Petit s’est fait un nom dans le paysage international des musiques aventureuses. Rencontre avec un hyper activiste de haut vol.

En 2009, tu fêtais tes vingt-cinq ans d’activisme. Que s’est-il passé ces deux dernières années ?
J’ai continué mes émissions sur Radio Grenouille, pour partager ma passion, faire découvrir des artistes qui ont du talent, trop souvent ignorés. En plus des platines, j’apprends désormais à jouer avec des instruments à cordes : un psaltérion électrique et un cymbalum. Je me définis comme un « agent de voyage musical », qui amène les gens ailleurs, sans utiliser le terme de compositeur qui me parait quelque peu prétentieux. J’ai sorti douze disques en deux ans, tous différents, à commencer par Henry : The Iron Man. J’ai débarqué à Radio Grenouille en ayant rêvé la nuit d’avant que l’on me demandait de composer la bande son imaginaire de Eraserhead qui rencontrerait Tetsuo, deux films que j’affectionne particulièrement. J’ai enregistré l’album live en faisant bouger des vinyles sur des textures que j’avais faites sur ordi à base de field recordings et autres traitements électroniques. Puis j’ai enchaîné sur des tas de collaborations, avec, entre autres, Lydia Lunch, James Johnston, Murcof, Kumo, Cosey Fanni Tutti de Throbbing Gristle, Eugene Robinson d’Oxbow… C’est mon boulot depuis vingt-cinq ans : tisser des liens avec d’autres activistes.

Considères-tu qu’il existe un fil conducteur dans ta musique ?
Oui, l’aspect cinématographique. Ma musique est toujours liée à une expérience visuelle. J’essaie de raconter des histoires, toutes différentes les unes des autres. Je n’ai pas envie de répéter la même recette indéfiniment comme font certains. Je sais que le public aime bien avoir un point de repère chez un artiste. Si tu fais sans cesse des choses différentes, ils ne savent pas sur quel pied danser avec toi, et ça ne va pas forcément plaire. Mais j’estime que c’est un risque qu’il faut prendre. Et puis quand tu fais de la musique, c’est parce que tu as envie de dire quelque chose, tu ne te poses pas la question « Est-ce que je vais plaire aux gens ? ». Je fais de la musique expérimentale, oui, mais au sens de « j’expérimente », pas au sens de « je fais toujours le même disque de dark ambient »…

Et sur scène ?
Je viens du punk, j’essaie de donner au public quelque chose de visuel ; mes mouvements sont intuitifs, une sorte de danse, donc je bouge. Il est essentiel de donner une présence à son public, de communiquer avec lui.

Peux-tu nous présenter tes albums à paraître ?
Je viens de sortir un nouvel EP avec Lydia Lunch, In Comfort, qui ressemble à mes projets « Philippe Petit & Friends » : j’invite des amis à venir jouer violon, harpe, du violoncelle, etc. C’est donc un disque moins sombre que le précédent. Un album avec Eugène Robinson arrive en juin chez Monotype… J’adore Oxbow ! Eugène est quelqu’un qui écrit des textes magnifiques et possède une puissance vocale phénoménale. Un album avec Murcof, commencé il y a trois ans, est en cours de finalisation. Mais aussi un vinyle avec Cindytalk, sur Lumberton Trading Co, et une autre collaboration avec Asva. Voilà les disques qui arrivent. Ah oui ! J’ai failli oublier Cordophony, qui sort à la fin de l’année sur un label japonais. Ça m’a pris deux ans et demi pour le faire, avec dix-neuf invités, des morceaux très aérés, assez courts. Et puis un autre Strings of Consciousness en 2012… Je ne dors pas beaucoup. Quand je suis sur un projet, ça me réveille au milieu de la nuit et je travaille.

As-tu changé ta façon de composer depuis le début de ta carrière ?
Oui, bien sûr. Elle change tous les jours, plus j’apprends et plus elle change. C’est comme tout. Si tu ouvres tes yeux, la vie vaut la peine d’être vécue, si tu ne les ouvres pas, à quoi ça sert de vivre ? C’est pareil pour la musique. C’est ma vie, c’est ce que je fais tous les jours depuis vingt-huit ans. Je n’ai jamais voulu avoir une piscine, un 4/4 ou autre… Non, je suis content d’aller faire un concert et de rencontrer le public, de parler avec lui, de trouver d’autres passionnés qui font la même chose chez eux. C’est un truc merveilleux. Je me sens privilégié : je suis heureux, je fais ce que j’aime et je bosse avec qui je veux, sans avoir quelqu’un derrière moi pour me dire ce que je dois faire. Il faut progresser, ok, mais il faut aussi regarder ce que l’on possède déjà et savoir l’apprécier. J’écoute des tonnes de disques, donc ma vision de la musique est changeante, et c’est tant mieux.

Qu’est ce qui, selon toi, caractérise les années 2000 en matière de production musicale ?
Au début des années 2000, c’est l’electronica, terme fourre-tout, suite logique des musiques électroacoustiques. Avec beaucoup de détails, de « petits sons », l’electronica intéressait beaucoup de gens à l’époque ; j’ai organisé plein de soirées Bip Hop Génération. Depuis, c’est le retour du rock, 60’s, 70’s, 80’s, et maintenant la noisy des années 90. Exactement ce que je faisais avec le label Pandemonium Rdz. Je vois ça avec beaucoup de recul aujourd’hui ; plein de groupes copient leurs idoles, alors que ce qui faisait l’intérêt de cette scène à l’époque, c’était l’envie d’innover, de trouver un son. Ce qui m’intéresse tout particulièrement aujourd’hui, ce sont les musiques post-classiques. J’ai d’ailleurs une émission à Grenouille consacrée à ces courants, Non Classical, tous les dimanches à minuit. Je diffuse des artistes qui repoussent les limites de la musique classique.

Où te situes-tu dans le paysage musical international et local ?
Dans le paysage international, j’ai une place aux côtés des artistes avec qui je m’associe. Mes collaborations me permettent de me positionner. Et localement, aux côtés des artistes que je trouve intéressants. Ça va de 25, Binaire à Elektrolux, ou l’équipe de Lollipop : ce sont des passionnés qui font avancer les choses. Des structures comme le GRIM de Jean Marc Montera, qui organise des tas de concerts, ou quelqu’un comme Ferdinand Richard, qui fait preuve d’une ouverture passionnante. Le GMEM et son festival Les Musiques… J’aime aussi Ahmad Compaoré, eRikm, Nicolas Dick ou Sam Karpienia, des artistes qui font leur truc. Quand tu vois les filles d’In The Garage qui montent un festival, c’est beau, extrêmement courageux : elles prennent des risques en faisant jouer des groupes pas très connus… Les éditions Le Mot et le Reste qui se battent pour publier des bouquins autour de la musique, Caroline Sury qui pousse toujours plus loin son art, bien sûr l’équipe de l’Embobineuse et Data. J’en oublie sûrement, mais il y a des tas de choses à Marseille. J’aime les personnes qui prennent des initiatives.

Et que penses-tu de Marseille Provence 2013 ?
Cette pantalonnade me fait mal au cœur, tant d’artistes de talent sont oubliés. De mon côté, je suis assez éloigné des institutions car beaucoup de personnes en place semblent oublier qu’ils utilisent de l’argent public et de fait, cela ne devrait pas servir leurs ambitions personnelles mais faire avancer la culture… Enfin, certains s’y emploient et comme je dis souvent, « dans la vie tout n’est pas blanc ou noir, il y a des nuances »… Reste à les saisir.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

Discographie récente (disques disponibles chez Lollipop) :
Lydia Lunch & Philippe Petit – In Comfort EP (Comfortzone)
Vultures Qt. & Philippe Petit – Tourbillon d’Obscurité (CD / Sub Rosa)
Philippe Petit – Henry The Iron Man (Vinyle LP / Aagoo)
Lydia Lunch & Philippe Petit – Twist Of Fate (CD + DVD + Book) (Monotype)
Cosey Fanni Tutti (Throbbing Gristle) & Philippe Petit (picture-disc 7′ – Dirter)
Philippe Petit – Off To Titan (a rework of Gustav Mahler’s symphonic poem) (CD – Karl Rds)