L’Interview | Pierre Oudart (directeur de l’École Supérieure d’Art et de Design Marseille-Méditerranée)
Il a dirigé les projets culturels du Grand Paris jusqu’en 2012, puis assuré le poste de chef du département de la création artistique au Centre National des Arts Plastiques, et intégré la direction du département des arts plastiques de l’institution très convoitée qu’est la DGCA (Direction Générale de la Création Artistique). Depuis deux ans, il dirige l’école des Beaux-Arts de Marseille, avec intelligence et ouverture. C’est un homme affable, serein et particulièrement ouvert qui a bien voulu échanger quelques mots avec nous.
Vous êtes arrivé à la direction des Beaux-Arts de Marseille le 1er octobre 2017. Où en est le projet que vous avez développé pour l’école ?
Depuis 2011, l’établissement a connu de nombreuses réformes, qui dépassent le cadre local, parce qu’elles sont dues à la réforme de l’enseignement européen. On s’inscrit donc d’abord dans le programme de l’école au travail, pour la mettre en ordre de marche dans ce contexte, mais à vrai dire, c’était loin d’être une école en panne. La particularité ici, en étant à Luminy, c’est qu’on est à l’écart de la ville. Cela présente des avantages, puisqu’on a beaucoup d’espace, mais mentalement, pour les Marseillais, c’est quand même un peu loin. L’une de nos priorités est donc de rester connectés avec les autres, d’ouvrir les portes… et aussi des fenêtres !
De fait, on s’est tourné vers l’enseignement secondaire en accueillant des classes, et vers les acteurs culturels en menant des ateliers « Art et Développement » de pratique artistique avec les habitants. On a mis en place une certification de plasticiens intervenants. On travaille beaucoup avec l’APH-M, avec des projets qui incluent patients et personnels de l’Hôpital Sainte Marguerite. On travaille aussi avec les Baumettes et tout cela constitue un terrain de formation pour nos jeunes, en les rendant pleinement acteurs de ce territoire métropolitain, aux usages et fonctions divers. On sait bien que les politiques culturelles se sont construites sur l’accès du plus grand nombre à la culture, et ce depuis Malraux. Mais ce qui a changé, c’est le numérique ! C’est lui qui fait ressortir un désir de pratique. Aujourd’hui, qu’on habite au fin fond d’une campagne ou qu’on soit d’un milieu social qui n’a pas de pratique artistique proprement dite, on regarde Youtube ou les réseaux sociaux, et on y découvre beaucoup. La pratique ne peut que prendre de plus en plus de place dans les politiques culturelles, et c’est très important pour notre école. Cela l’est d’ailleurs pour tous, et c’est pourquoi nous maintenons notre journée Portes Ouvertes chaque année (en mars, ndlr) et que nous organisons des stages de pratique dans nos propres ateliers, afin d’initier les amateurs à des techniques particulières, comme la céramique prochainement, mais aussi dans différents quartiers de la ville : aux Catalans, à Saint André, Saint Eloi, Château Gombert, Sainte Marguerite…
Comment travaillez-vous la formation et la professionnalisation de vos étudiants ?
Le maire nous a mis en relation avec des opérateurs immobiliers, et aujourd’hui, on place des œuvres d’art dans les nouveaux ensembles immobiliers. Nous avons aussi élaboré un programme, « Travail ! Travail ! », pour favoriser l’insertion de nos étudiants, ce qui se concrétise par la mise en relation avec des commanditaires et des partenaires culturels reconnus comme Mécènes du Sud, Art-Cade, et Collective.
Nous développons aussi depuis quelques temps une attention particulière aux collectifs qui se créent, aux évolutions des pratiques d’artistes et à leurs attentes. Nous avions une galerie au centre-ville, à la rue Montgrand, mais le caractère réservé aux étudiants les enserrait trop et les stigmatisait d’emblée. On a ensuite réfléchi à un atelier à la Friche La Belle de Mai, mais on s’est vite rendu compte que le besoin n’était pas d’avoir un atelier mais bien plutôt un espace d’exposition. On est désormais très attentifs aux ateliers collectifs créés par nos anciens élèves. On y sent l’effervescence, ce sont des artistes qui font, et qui n’attendent pas d’être « aidés » pour faire. À Marseille, la communauté artistique s’est fondée sur ces collectifs : de là est née la Friche La Belle de Mai, de là est né le projet d’Art-Cade. C’est une particularité marseillaise que de pouvoir bénéficier encore d’un foncier à bas prix. Avec les générations X, Y et même Z, ce phénomène s’est massifié encore, parce que l’interconnexion est pour eux une habitude. J’appelle ça « des collectifs Air France » : on ne sait jamais qui est dedans ou qui ne l’est pas. Ce qui est curieux, c’est l’attitude paradoxalement méfiante de certaines puissances publiques vis-à-vis de ces artistes qui ne demandent rien, ou presque. Je crois qu’il faut plutôt essayer de comprendre ce nouveau paysage qui est en train de se construire mais dont personne ne peut dire encore ce qui est en train de se passer.
Et dans un futur proche, vous vous projetez comment ?
Nous sommes ravis de participer au PAC Off, et que les travaux de nos étudiants soient présentés dans onze lieux para-institutionnels. Nous sommes également à la recherche de locaux en centre-ville pour y monter le Bureau des Prodiges. Il s’agirait d’un lieu qui aurait trois fonctions. Nous l’imaginons d’abord comme un centre de ressources professionnelles, qui pourrait être un bureau de l’emploi, car nous savons que la vie d’artiste est faite aussi de petits boulots, et que c’est à la réalité de ce quotidien que nous pourrions aider. On pourrait y créer un espace de coworking temporaire, pour que les artistes puissent y présenter leurs travaux, organiser leur rendez-vous professionnels. Il s’agirait enfin d’y développer la formation professionnelle continue pour les artistes-auteurs, en proposant des formations aux logiciels 3 D ou encore au dessin. L’initiative est appuyée par la Région, puisque la formation fait partie de son champ de compétences, et nous sommes donc à l’affût du lieu physique de ce Bureau des Prodiges : nous étudierons toute proposition !
Propos recueillis par Joanna Selvidès
Prochainement : du 27 juin au 12 juillet, présentation des travaux de diplôme du master Art & Design au [mac] (avant la fermeture pour travaux cet été).
Rens. : http://esadmm.fr/