Pour sa 21e édition, le festival Les Musiques innove. Au-delà de la large palette de propositions, c’est le tarif unique de 5 € la place qui retient l’attention. Coup de pub ou coup de génie pour rendre l’art contemporain accessible à tous ? Réponse(s) avec Raphaël de Vivo, directeur artistique de la manifestation.
On a le sentiment, en voyant la programmation, que cette nouvelle édition ouvre un nouveau cycle au GMEM.
Nous avons fêté le vingtième anniversaire du Festival avec un programme et une durée beaucoup plus importants que les années précédentes. Les anniversaires n’ont jamais beaucoup compté pour moi, je ne saurais donc dire s’il s’agissait de la fin d’un cycle. Pour cette édition, les formes et les langages artistiques auxquels nous nous attachons ont conservé la même démarche d’investigation et d’innovation. On retrouve des concerts « classiques » d’orchestres, d’ensembles, et des spectacles mixtes qui associent d’autres médiums comme les arts visuels, la danse, l’électronique…
Pour la première fois, les places sont toutes à 5 €. Cela traduit-il un besoin de « désacraliser » la musique contemporaine ?
Nous avons toujours eu une politique de prix peu élevés. Ce qui change cette année, c’est que le tarif est un peu plus bas et unique pour l’ensemble des spectacles. Plusieurs raisons à cela : il ne s’agit pas de désacraliser, puisqu’il n’est pas question de sacré, mais de faciliter l’accès à l’art dans un moment particulier de l’évolution de notre société. L’offre culturelle a été exponentielle. Quant à la demande, sans être stagnante, elle s’est diversifiée. Nous n’avons jamais souffert d’un manque de public. En 2007, il y a eu un peu plus de 6 000 personnes pour une proposition artistique exigeante, c’est plutôt bien. Mais actuellement, une certaine forme de morosité génère une tendance à l’enfermement. L’accès à l’art est important, et nous avions envie d’écarter le faux prétexte de l’argent qui fait que l’on va ou ne va pas au spectacle. La question financière ne se posant plus, il ne reste plus que la question du désir par rapport à une proposition de qualité, qui génère du plaisir mais aussi un questionnement sur soi et sur les autres.
Dans votre édito, vous évoquez souvent la place de l’humain, des émotions et de la vie dans la création. Pourtant, les musiques contemporaines ont des codes plutôt cérébraux. Est-ce là aussi une volonté du GMEM que de s’orienter autrement à l’avenir ?
L’art étant la conséquence de l’imaginaire, générant de l’imaginaire, difficile de le dissocier de l’humain. Aller voir un spectacle, un concert, c’est toujours une recherche d’émotions, quitte à être dérangé ou profondément troublé. Peut-on opposer le cérébral au physique ? Bien sûr, la musique contemporaine ne se danse pas, mais elle a des conséquences psycho-acoustiques créatrices de sensations. Je ne crois pas que ce soit une question de codes « cérébraux ». Il y a dans toute manifestation humaine, toute culture, des codes que l’on appréhende plus ou moins bien. En ce qui concerne la musique contemporaine, ce qui importe le plus, c’est de se laisser aller, de ne pas avoir d’a priori, de partir du postulat que l’on va être surpris et que ce qui dérange, c’est autre chose qui s’inscrit dans une longue tradition d’où naîtront des émotions. Quant à la volonté de s’orienter autrement dans l’avenir, je n’exclus aucune aventure, aucune rencontre, aucun croisement dans la mesure où il fait sens artistiquement. Je ne cesse de répéter qu’il y a une évolution permanente des langages, des formes artistiques. Après, c’est un désir de partage et de sortir du cercle des « gens qui savent ». Et ça, c’est notre pari.
Les budgets culturels se resserrent, laissant gravement planer des doutes sur la création dite « peu rentable ». Comment vivez-vous, ressentez-vous ces perspectives peu optimistes ?
Oui, je suis inquiet comme beaucoup d’entre nous car on ne peut pas plaquer une grille de lecture strictement basée sur de la rentabilité économique dans le domaine de la production de l’esprit. Il y a beaucoup d’activités qui ne sont pas rentables à court terme mais fondamentales pour l’évolution d’une société, la constitution d’une pensée et d’un avenir. Quant au « peu rentable », il nécessite quelques explications : la création d’un événement culturel de qualité avec un contenu artistique est un plus pour l’image d’une ville, d’un pays, et les retombées économiques sont au-delà des spectateurs qui viennent dans les salles et qui payent. Donc, le financement de la culture permet la création d’événements tout en réinjectant la grande partie de ce qui est donné au départ dans l’économie locale et nationale. J’espère qu’on va revoir et modifier ces notions quantitatives et « rentabilisantes » pour revenir à l’essentiel : la nécessité de l’art et de la culture dans l’évolution de notre société, qui de surcroît peut être un antidote à la morosité en étant générateur de plaisir et d’intelligence.
Propos recueillis par LV
Photo : Laure Chaminas
21e festival Les Musiques, du 17 au 26/04 à Marseille. Rens. 04 96 20 60 10