L’interview : Raphaël de Vivo
Il faudrait probablement plus de place pour vanter tous les mérites du GMEM, centre national de création musicale, et de son festival Les Musiques. A la direction de la structure se trouve un passionné : Raphaël de Vivo. Rencontre.
Le festival et une partie de votre programmation annuelle sont consacrés à la relation instrument/ordinateur, qui caractérise la musique mixte. Ce dialogue entre les époques, entre tradition et innovation, est-ce la pierre angulaire du GMEM ?
Oui, ça en est une. Nous menons un travail permanent sur la création. Et une création associe des temps de recherches et d’expérimentations sur les outils numériques, qui évoluent de façon permanente. Ce qui ouvre des perspectives. Nous sommes souvent dans cette relation entre la création d’œuvres et l’évolution des lutheries modernes. Quant au lien entre instrument acoustique et technologie numérique, ce n’est qu’un des aspects du festival. Mais le critère déterminant d’une œuvre ou d’un spectacle n’est pas dans l’utilisation de l’outil.
Critiqué ou assumé, l’ordinateur a désormais sa place sur scène. On connaît bien ses avantages en matière de rapidité et de simplification des processus. D’après vous, à quel endroit son utilisation s’avère-t-elle conflictuelle au regard de la création artistique ?
La rapidité peut parfois se faire au détriment de la réflexion, de la pensée. Il existe des musiques qui sont plus faites avec le regard qu’avec l’écoute. Il est impératif de se questionner sur le sens des actes que l’on pose, parce que la technologie nous permet d’être dans une rapidité et même une virtuosité de l’instant qui peut se faire au détriment du fond. C’est comme en matière de communication : le fait d’accumuler des informations ne signifie pas forcément que l’on acquiert des connaissances. Ce qui prédomine avant tout, c’est la pensée artistique, l’imaginaire de l’artiste et sa nécessité à agir, et non pas simplement d’être dans un processus conjecturel. A part ça, les outils évoluent, il faut faire avec. Mais ce qui importe depuis toujours, c’est l’activité artistique.
Le processus de création occupe-t-il donc, à vos yeux, une place considérable dans l’appréciation de l’œuvre ?
On peut aller très vite dans la création d’une œuvre, mais cette rapidité doit être mûrie d’années de réflexion. Sans se laisser piéger par l’instantanéité de l’outil, il faut savoir évaluer si ce que l’on fait est en adéquation avec ce que l’on souhaite créer. Mais il n’y a aucune raison de se priver de cet accès facile qu’offre l’informatique. En matière de musique mixte, l’ordinateur sert principalement au traitement sonore. L’évolution de cet outil permet la réalisation d’un rêve : la spatialisation de l’œuvre. Les choses ont profondément changé dans le processus de création et de restitution du matériau sonore. Mais derrière tout ça, le propos est toujours le même : créer des œuvres avec une lutherie qui évolue. Après, certaines choses vont s’inscrire sur la durée, tandis que d’autres resteront anecdotiques car elles n’utilisent que les possibilités de l’instrument.
Un certain nombre d’artistes reviennent aux instruments traditionnels ou aux vieilles machines. Une démarche qui inclut la notion de contrainte…
La contrainte est de l’ordre de l’esthétique. Elle est, avec la nécessité, déterminante dans le processus de création artistique. La contrainte est permanente, elle ne naît pas par plaisir. Il est nécessaire d’innover, et pas seulement en matière de création musicale… Mais intellectuellement, socialement. Je ne suis pas pour un retour en arrière. On n’a pas vocation à reproduire un temps passé. Mais dans un processus d’innovation, il faut avoir le sens de l’histoire. L’innovation va de pair avec la connaissance, l’imagination et l’expérimentation. On peut utiliser des instruments traditionnels, mais l’essentiel est de savoir comment un artiste intègre ses rencontres sonores à son propre univers, pour l’enrichir et nourrir sa problématique artistique. Il ne faut pas avoir peur de l’émergence des outils. Je n’exclus rien, je n’hypothèque rien. C’est comme avec la programmation du festival : je peux programmer une pièce de musique classique comme une pièce totalement électronique, du moment qu’elles font sens. L’attitude à adopter, c’est l’expérimentation ; ensuite, on voit avec quels outils on peut y parvenir.
En utilisant l’informatique comme support, le compositeur a dû revêtir la casquette de technicien capable de gérer lui-même le traitement et l’enregistrement de ses créations. De façon générale, pensez-vous que ces nouvelles compétences ont des répercussions sur les œuvres ?
De plus en plus, les compositeurs doivent maîtriser l’outil informatique, mais je ne pense pas qu’ils puissent contrôler tous les process par manque de temps. C’est pour cela qu’il existe des centres comme le nôtre, avec des réalisateurs en informatique musicale. Quant à penser que le compositeur peut tout faire lui-même… C’est déjà un peu plus possible qu’avant, mais il est question d’évaluation du temps. Il est peut-être plus important de se consacrer à l’artistique et de travailler avec des techniciens de haut niveau, même si au départ, il est très important d’avoir des connaissances en informatique. D’ailleurs, le GMEM, ce n’est pas qu’un festival, nous avons une activité à l’année, avec des résidences, des créations autour des musiques d’aujourd’hui. Des artistes viennent ici pour développer des outils, avec des techniciens à leur disposition. La structure est basée sur un rapport permanent entre art, science et technologie.
Pour en revenir à cette nouvelle édition du festival Les Musiques, comment s’est effectué le choix de la programmation ?
Sur des désirs personnels, des rencontres, des envies de partage, de faire voir et entendre des choses qui apparaissent et d’autres que l’on suscite en passant commande à des compositeurs. Le but est de mettre en perspective créations, émergence d’œuvres et répertoire, mais aussi de monter une programmation diversifiée avec ses fils conducteurs, ses articulations. Par exemple, le festival aborde plusieurs œuvres de György Ligeti. On peut également noter une forte présence de la musique américaine : Steve Reich, Terry Riley, Anne LeBaron, Philip Glass… Et comme toujours, un lien entre la musique et la danse, ainsi qu’une dimension cinématographique… Nous cherchons à mettre en exergue le côté éclectique et protéiforme que peut prendre la création musicale : des formes peu conventionnelles comme Bacchanale, qui mélange trois cents intervenants au public, et d’autres plus « classiques », comme un récital d’alto ou un orchestre, mais toujours sur des œuvres contemporaines.
Dans l’édito du festival, vous parlez de « démesure dans la création »…
Créer est un acte démesuré. Si l’on est mesuré, on ne fait pas de création, on se contente de la réalité telle qu’elle. La contrainte peut être un élément catalyseur, mais être dans la contrainte de l’évaluation, à un moment donné, ça devient très problématique. Je ne parle pas de la contrainte de l’argent, mais de la contrainte de l’esprit. La création doit rompre avec le réel, puisque l’on est dans de l’imaginaire. Il ne faut rien s’interdire, c’est le positionnement artistique qui fait sens.
Que vous inspire Marseille Provence 2013 ? Avez-vous des projets ?
Le GMEM a déposé des projets. D’abord le festival, puis trois autres évènements : un opéra contemporain, un concert monumental en plein air sur le thème du partage de l’eau et un parcours musical sonore, littéraire et chorégraphique dans un jardin. Nous attendons de savoir s’ils ont été retenus.
Propos recueillis par Jordan Saïsset
Photo : Laure Chaminas
Festival Les Musiques : du 4 au 14/05 à l’Alcazar (58 Cours Belsunce, 1er), aux ABD Gaston-Defferre (20 rue Mirès, 3e), au Ballet National de Marseille (20 Bd Gabès,8e), à La Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e), au Musée Cantini (19 rue Grignan, 6e), sur la place Villeneuve Bargemon (2e) et au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er). Rens. 04 96 20 60 10 / www.gmem.org