L’interview : Seth Gueko + Retour concert au Poste à Galène
L’interview : Seth Gueko
Je m’apprête à rencontrer le rappeur, roi de la métaphore graveleuse. J’ai prévu de le chatouiller un peu sur son terrain. Vais-je ressortir avec du goudron et des plumes, fallait-il enfiler un gilet pare-balles sous ma culotte ? Que nenni. Je découvre un professionnel, courtois comme une vieille fille à l’heure du thé. Quelque peu essoufflé après ses balances, il me reçoit dans les loges du Poste sur une banquette de skaï qui a essuyé la sueur noble les fessiers de musiciens rock, ska ou électro depuis quelques décennies.
Alors comme ça, Seth Gueko est à Marseille ?
Ouais. On est venus sur les terres des Fabulous Troubadours (qui sont en fait Toulousains) et du Massilia Sound System. C’est à travers eu que j’ai découvert Marseille.
Dans les 90’s, tu étais plutôt Ombre et Lumière ou Paris sous les bombes ?
J’vais pas te mentir, mes grands frères étaient dans Paris sous les bombes. Mais j’aimais bien cette touche d’humour qu’IAM apportait, les interludes où ils imitaient les voix de Renaud etc. J’aime ce côté décomplexé de Ombre et Lumière et de Donne moi le micro, maxi sorti juste avant et qui m’avait aussi mis sur le cul.
Qu’est-ce que ton dernier album, Michto, sorti en 2011, a changé pour toi ?
Je l’ai fait dans le plaisir. Sans calcul. Quand tu calcules trop, ça fonctionne pas. Si tu te dis : « Alors là, je vais faire un morceau sur l’amour », ça marche pas. Je l’ai fait au feeling. Et puis d’un album à l’autre, c’est comme dans la vie, tu vis de nouvelles choses. Là, j’ai beaucoup voyagé, j’ai fait aussi un petit séjour en prison. M’a vision en est sorti changée. Ça a agrémenté des nouveaux trucs dans le nouvel album. C’est bien, quand t’as une vie pimentée ça fait des albums différents. J’ai fait le tour du monde, ça m’a ouvert l’esprit et donné envie de faire de la musique qui traverse les frontières, de poser des nouvelles sonorités.
En parlant de repousser les frontières, tu évoques beaucoup la communauté gitane dans tes textes. Est-ce que ce qui t’attire c’est d’être, comme les gitans, à la fois de partout et de nulle part ?
Ouais, bien sûr. C’est la marginalité, le fait de pas rentrer dans le moule. J’aime bien les gens qui ont leurs propres codes, c’est le microcosme qui est intéressant.
Mais la marginalité n’est-elle pas aussi à l’origine d’un système ?
Non, non, tu peux être marginal à la Mesrine et marginal en vivant dans un camp retranché qui se mélange pas… C’est comme le mot Michto, voilà, marginalité. Un artiste, c’est déjà quelqu’un de marginal. Tu vas pas forcement au boulot le matin, tu peux écrire quand t’es frappé par l’inspiration, et ça peut être à cinq heures du mat’. Je le disais à l’époque à ma famille… même s’ils ont du mal à se dire que je travaille quand j’écris un texte de rap. Et pourtant, aujourd’hui, c’est ce qui me fait vivre. Donc c’est aussi de la marginalité. Faire chier tes voisins, monter le volume, écrire des textes de rap dans tes chiottes. Je trouve pas ça commun.
On va parler un peu des femmes si tu veux bien puisqu’elles reviennent beaucoup dans ton travail. Dans le titre Les Fils de Jack Mess, tu dis : « J’arrive, tête de roumain, zguege de poulain ». Si une femme rétorquait « Tête de roumaine, chatte de pouliche », que répondrais-tu ?
(Sourire) Je préfèrerais qu’elle me dise : « Tête de tainp et chatte de sainte ». Ça veut dire : qui a un aspect vulgaire et qui se comporte bien.
Et si une femme te disait « Me fais pas l’coup d’la panne, j’ai mis du Viagra dans ta sacoche Dolce et Gabanna » (allusion au titre Tapis Moquette) ?
(Sourire) Je lui dirais : « T’es la meilleure des femmes de la Terre, je veux t’épouser ». En fait voilà, j’explique vachement que c’est du second degré tout ça. Et de la séduction. Déjà de vouloir être un chanteur, de faire en sorte que les gens nous aiment, y’a un esprit de séduction, on a envie d’être aimé, je veux pas qu’on me déteste. Et je l’ai déjà dit, j’aimerais bien entendre une nana qui me dit : « Même ton slip il se bouche le nez tellement tu pues d’la bite ». Je trouverais ça super marrant, tu mettrais des micros cachés dans un vestiaire de femmes… Tu ne crois pas qu’entre elles, elles se disent : « Putain, le mec il puait d’la bite », ou « L’autre, il a tenu que deux minutes » ? Ben, c’est exactement pareil, tu vois. Quand ça sort de la bouche d’un homme, tout de suite, ça paraît grossier, vulgaire. Mais derrière cette grossièreté apparente, y a une subtilité dans l’écriture : parce que c’est efficace, les gens s’en rappellent et c’est écrit avec humour.
Il semblerait que dans tes textes, le seul qui enlève son chapeau lorsqu’il croise une dame, c’est le monsieur du dessous ?
Ah, non, non. J’ai l’esprit voyageur, j’ai beaucoup voyagé, j’ai toujours pris le train et les transports en commun. C’était mon lieu de chasse. Et je vais pas draguer une femme en lui rotant au visage. Quand cet aspect-là ressort dans ma musique, c’est une sorte de carapace. Je trouve que la pire maladie, c’est de tomber amoureux. Donc, j’essaie de me préserver, de me donner un côté repoussant. C’est comme les clochards qui puent, c’est pour pas qu’on vienne les emmerder, en fait. Je sais que ça fait mal de tomber amoureux, j’ai pas trop envie. Ou je préfère celle qui se dise : « Putain, derrière ça, y a quelque chose, il faut gratter ». Celle qui se donnera ce mal-là, elle sera bien pour moi. Celle qui s’arrêtera à l’image n’aura rien compris.
Alors le : « On n’est jamais mieux branlé que par soi-même » (j’ai lu ça dans une interview) ne voudrait-il pas plutôt dire : « Mesdemoiselles, n’essayez pas, j’ai du mal à faire confiance » ?
Bien sûr, bien sûr que c’est ça, c’est le message qui est derrière. C’est un cœur avec des cicatrices et si t’essaies d’enlever les points de sutures ça fait mal.
(le manager entre : « Le groupe en première partie va commencer les balances, donc il va y avoir du bruit »).
(Set Gueko au manager : « J’étais sur le point de conclure, là ! Eh, je ri-go-le ! Je mords pas, hein !)
Oui, oui, je sais bien.
Et en plus, j’ai pas encore pété !
Tout va bien alors. J’ai beaucoup de chance.
L’humour, c’est une preuve d’intelligence, non ?
Oui, là on est d’accord. Bien, ça va tout de suite être moins rigolo : nous sommes en pleine période électorale, que fait Seth Gueko ? Il éteint la télé et ferme les yeux ?
Je ne me sens pas concerné par la politique française. Je préfère savoir ce qui se passe en Thaïlande avec leur roi, là…
La Thaïlande, c’est tout de même un régime autoritaire, et on ne touche pas au roi comme ça, non ?
Oui, mais ils ont réussi à installer un vrai truc. Y’a pas de manifs violentes là-bas. Avec l’argent, tu as ce que tu veux. Pas en France. En France même avec du fric, tu peux pas être au-dessus des lois.
Un rappeur français appelait d’ailleurs à voter en 2007, lors des dernières élections, Joey Starr, ça te parle ?
Je ne suis pas un artiste engagé, je suis un artiste dégagé. Un concert ça se fait dans un rade, pas à l’Assemblée Nationale. Ma carte électorale, elle me sert à rien. Je ne remplis pas mes feuilles d’impôt. C’est mon ami manager, mon tuteur, ma curatelle, qui se charge de tout ça. Moi je suis bon qu’à écrire des textes. Et j’ai pas de moralité dans le divertissement. La musique, c’est fait pour se divertir.
Parlons-en, tu puises dans différentes références, comme le punk, par exemple.
Les premiers marginaux, c’est les keupons. J’aime bien la marginalité qu’ils avaient, c’étaient les premiers à avoir chanté : « La Jeunesse emmerde le Front National » (ndlr : Les Béruriers Noirs). Les premiers qui ont fait croquer NTM, c’était La Souris Déglinguée. Tout ça, les rappeurs l’ont repris, avec des boîtes à rythmes. Je peux puiser dans les Wampas, les Négresses Vertes, la Mano Negra, Parabellum…
Et les anglophones ? Si on écoute London Calling de The Clash, chacune de leurs formules ne sont-elles pas des punchlines ?
Oui. Un de mes titres préférés, c’est Rock the Casbah. Je voulais en faire une reprise : Rock the caillera. Mais les gens sont pas assez éduqués pour entendre ça.
Est-ce qu’il arrive à Nicolas, ton vrai prénom, d’en avoir marre de Seth ?
Ben, Seth c’est Nicolas filtré. Je suis encore plus… comment dire ? Rebondissant, je déborde d’idées, une vraie pile électrique, je suis constamment en représentation.
C’est pas fatigant ?
(Silence) Je me fatigue moi-même. Mais une femme va se dire que je suis magique, qu’on s’emmerde pas une minute, quoi.
Il semblerait qu’avec toi, les femmes se partagent La maman ou la putain. Est-ce qu’il y a une troisième alternative ?
Je vais te résumer tout ça. On dit : « La mère, c’est sûr, le père peut-être ». Tu connais ce proverbe ? On est sûrs que notre mère c’est elle, le papa on ne le sait jamais. On naît mère, on ne le devient pas. Les femmes ont cette fibre. Le vagin, c’est l’usine de l’humanité. Tu vois ? Je peux aussi en parler avec poésie. T’es dans le métro, t’entends un mec faire la manche avec une voix basse, personne ne va l’écouter. Ben, s’il met trois coups de marteau dans la vitre, tout le monde va l’écouter. Faut être provoquant pour avoir la lumière sur soi, pour être écouté.
C’est pour cela que dans le rap, les mecs ils sont toujours en train de gueuler ?
C’est une thérapie. A défaut de faire du sport, ben je me dépense, et j’ai toujours l’impression qu’on ne m’entend pas. Tout ça, c’est pour qu’on m’entende.
On sent la mort qui plane dans tes textes. Seth Gueko ne fera pas de vieux os ?
Je préfère vivre à cent à l’heure, avoir bien vécu comme James Dean et mourir à trente-deux ans que vivre la vieillesse. Parce que tu reviens au stade de bébé, en fait. Et le fait d’avoir des problèmes d’érections me fait déjà peur. Ça va arriver vers quarante/cinquante ans.
Puisqu’on en est là, j’ai un petit cadeau pour toi en forme de blague de très mauvais goût, tu permets ?
Vas-y.
(Je dégaine mon cadeau : une sucette Chupa Chups à la fraise.) C’est pour toi, tu le donneras à la prochaine jeune femme avec qui tu entretiendras des rapports un peu personnels, c’est pour qu’elle s’entraîne.
Ben merci, c’est gentil, mais il aurait plutôt fallu un concombre.
Propos recueillis par Bénédicte Jouve.
Photo : Fifou pour Fish High
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Sea, Guex and sun
Flirtant sans complexes avec les clichés du street rap – lyrics sans prépuce, bling-bling au kilomètre, femmes réduites à leur plus simple appareil – Seth Gueko était de passage au Poste.
La salle est presque pleine et le photographe croisé pendant l’interview reconverti en vendeur de t-shirts. « C’est un public très masculin, là, non ? » Mon pote vendeur s’improvise pédagogue et m’explique patiemment en parlant fort et lentement comme si j’étais blonde, que l’on n’est pas à un concert de garçon coiffeur. Merci l’ami, j’avais compris. Et comme je suis moi aussi poète moi, j’ajouterais qu’effectivement ce soir, ça ne sent pas la crevette, mais plutôt le cornet à deux boules. L’héritier spirituel de Jacques Mesrine apparaît : « Salut Marseille ! Faites du bruit ! », clame-t-il. S’il lui est arrivé d’évoquer son père absent « per-vers et per-méable », il est lui, incontestablement un « per-former ». En témoigne le litre de flotte qui sort du corps à chaque morceau, les postillons de sa « machine de glaires » (comme il lui arrive de se qualifier) emportent tout sur leur passage. Le lascar qui affirme posséder « des capotes goût Whiskas pour les chattes difficiles » se fend d’une dédicace pour le public féminin : « Salut aux filles qui ont osé venir ce soir ! Allez, les meufs présentes, levez la main ! ». Quelques pattes aux griffes laquées se dressent. Réapparaît alors le pitre de la classe : « Eh, les mecs, allez-y, vous pouvez leur toucher les seins ! ». Véritable pile Duracell, il enchaîne les pistes du déjà culte Michto, et les hits de la Chevalière, son premier album. Il bouffe la scène et brûle les planches, mimant de concert avec le public la gestuelle récurrente dans ses clips. « C’est le retour du forain, mes couillasses ! », celui qui s’est choisi une armure de gitan et une caravane en guise de monture ne simule pas : sur son avant-bras droit est tatoué son titre éponyme, Patate de forain. On l’imagine très bien, comme dans le clip de Shalom, salam, salut (un titre en référence aux Béruriers Noirs) entouré de néons multicolores, le front laqué de sueur, moulé dans son marcel blanc, à tourner la manivelle, donner des claques dans le dos des pères, complimenter les daronnes sur la fraîcheur de leur teint et refiler gratos des cornets de frites à la graisse aux mômes. Dans son dernier album, on savoure à la fois des métaphores léchées, brutes de décoffrage, et l’amertume d’une Marlboro tétée jusqu’au filtre par un cowboy solitaire (Bad CowBoy) traînant son mal être sur le macadam de Phuket. Sexationnel est un morceau très cru, très chaud, qui révèle une brutale admiration pour les femmes : « Elle est sur moi, je suis en elle (…) ça y est, j’arrive, je viens, plus un geste (…) ta chatte est sucrée, ton sexe est salé, on s’laisse aller ». Et une pudeur blindée pour la femme : «J’ai envie de baiser la main d’une princesse ». Donnant envie de s’abandonner au décoiffage du ticket de métro, le beat y est nonchalant et sexy : il prend aux tripes. Dans le clip tourné en Thaïlande, Seth pose autour d’une piscine arrosée de champagne, entouré de poupées exotiques en bikini, aux tétines siliconées… Revenons-en au concert. La foule mouvante se presse contre la scène : on lit sur les visages offerts la ferveur, l’émotion et la joie. Le manager précise : « On a un gros public qui est issu des classes populaires ». Ceux qui sont là ont davantage l’air d’avoir touché les allocs ce mois-ci plutôt que le jackpot. Il ne les oublie pas, les cabochards, les diplômés mention RSA, les gueules cassées : « Salam à tous les ferrailleurs ! ». Celui qui ne partage qu’un prénom avec le président sortant fréquente toutes les communautés, et refuse de voter (« Le rassemblement avec moi c’est tout le temps, pas seulement en période d’érection providentielle ») a conquis l’auditoire au lasso. Et lorsqu’il entonne le très mélodique Zdedededex, la foule se déchaîne. « T’es une femme-fontaine, j’suis un homme-grenouille (…) tu t’affoles, tu sais qu’ t’auras mal, chérie ». C’est la fin. Les fans font la queue devant la loge pour une dédicace ou une photo souvenir. Ils seront tous reçus. L’homme aux amis à cinq zéros sur Facebook n’oublie pas ce qu’il leur doit. « Le respect du public, c’est élémentaire. On a un petit noyau dur de fans qui nous suivent partout » me confirme le manager, « ils viennent de toute la France et une poignée sont belges. Une fan s’est même faite tatouer Zdedededex sur le bras ! ». Après l’ultime séance photo et un shot de tord-boyaux généreusement offert par un fan archi-fidèle, la petite « famille » rassemble ses affaires à la hâte. Et comme Bayrou en cette saison, je serre des pognes qui ont déjà l’esprit ailleurs ; la caravane attend sur le trottoir, direction Paname à la lueur de la lune et des réverbères d’autoroute. Le bilan ? C’était michto*. Si les apprentis mc veulent rivaliser, il faudra mettre un tigre dans votre moteur et un concombre dans le caleçon. Pour les minettes, le gilet pare-balles se porte à hauteur du cœur et pas du string. Méfiance : ce gitan gominé au cambouis pourrait bien vous ensorceler. Sur le trottoir, une poignée de fans attendent. Il est temps de s’éclipser, je peux presque sentir le benzène recraché par le véhicule transportant le Seth. En passant à côté, j’esquisse mentalement une bénédiction en forme de clin d’œil : bonne route, camarade !
Bénédicte Jouve
Seth Gueko était en concert le samedi 24/03 au Poste à Galène à l’occasion du Camping-Car tour 2012.
Rens : www.sethgueko.net
*Michto est une expression gitane signifiant terrible, super.