Littoral de Wajdi Mouawad par le Groupe Manifeste au Théâtre Les Argonautes
Les rivages du temps
Après Koltès, Gabily, Bond et Genet entre autres, la compagnie Aurige Théâtre / Groupe Manifeste propose Littoral de Wajdi Mouawad au Théâtre des Argonautes, lieu unique, chaleureux et hors du temps.
Fruit de la volonté de Jean-Pierre Girard et Francine Eymery de continuer une aventure théâtrale qui dure depuis leur adolescence et dont le moteur a toujours été la passion, le théâtre Les Argonautes fonctionne de façon atypique dans le paysage culturel marseillais depuis 2003, sans subventions mais avec une forte mobilisation de bénévoles, jeunes et engagés. « Je pars du principe qu’ici, je fais de la formation continue ; certains sont devenus intermittents, d’autres ont une autre profession. C’est un état d’esprit, un principe de création, de mêler les pros et les non pros. La transmission, c’est très important pour moi », explique Francine. Les gènes de la tragédie antique l’habitent, ainsi qu’un attachement pour le butô, qui lui permet de « faire se rencontrer les danseurs qui veulent se mettre à parler et les acteurs qui cherchent du corps. Monter Genet est venu par le butô car il est revendiqué par ses fondateurs. Je suis mon intuition, une certaine logique par rapport à ceux qui sont là, aussi. J’entendais parler de Wajdi Mouawad depuis des années. On a lu des textes avec le groupe, Littoral s’est imposé naturellement ; une œuvre de jeunesse sur le déracinement que je trouve très optimiste. Je me suis surtout intéressée aux traces d’adolescence, à la fraîcheur, à la naïveté même, que j’avais ressentie à la première lecture. Wajdi Mouawad répétait le jour et écrivait la nuit avec des amis, très jeunes. Toutes ces traces sont dans la pièce : le théâtre dans le théâtre, des anecdotes de répétitions, des références (Hamlet, L’Odyssée, L’Idiot…). Je trouve intéressant de traiter l’aspect ludique et adolescent car c’est un auteur dont les textes ont la réputation d’être durs et violents. Il ne se prenait pas au sérieux quand il l’a écrite, ce n’est pas une pièce de la maturité, c’est ce qui m’a plu. »
Littoral conte la quête obsessionnelle de Wilfrid d’un endroit où enterrer son père, dans un pays en guerre où il y a des morts partout. D’autres personnages en deuil vont lui emboîter le pas et le père mort, très bavard, va devenir leur père à tous… Une équipe de tournage entreprend un film de cette histoire : « Ça crée une distanciation par rapport au drame, une mise en abîme. Il y a dans la première partie une foule de personnages et je me suis amusée à délirer cette situation où tout le monde parle comme dans la comédie italienne, avec un travail sur le rythme pour que ça file à toute vitesse. »
Le Groupe Manifeste s’organise à sa façon : certains membres ne sont libres pour répéter qu’en dehors de leurs horaires de travail, mais Francine et Jean Pierre sont « continuellement théâtre », c’est leur quotidien, leur principale préoccupation. « On a répété deux mois sur une période de six mois, en réussissant à réunir tout le monde trois jours par semaine, et le reste du temps, on a travaillé par fragments, par scène. L’équipe se mobilise et s’étoffe. J’ai une assistante qui va bientôt s’occuper de la com’ du théâtre. Des gens nouveaux nous rejoignent et proposent aussi leurs projets. Les choses se structurent, créant une dynamique que l’on ne voit pas partout à l’heure actuelle. Il faut se fier à un instinct de vie et se poser des questions sur ce qu’est l’acte théâtral ; avoir cette mobilité là plutôt que chercher à s’installer. »
Jean-Pierre et Francine ont toujours voulu avoir cette vie de partage et de création, préférant dépenser leur argent dans un théâtre plutôt que dans une maison de campagne ou des voyages. Le lieu ne leur a pas été apporté sur un plateau : c’est une responsabilité individuelle. Ils ont une déontologie, des codes bien à eux et une grande générosité : au fil du temps, ils ont accueilli en résidence de nombreuses compagnies, et non des moindres (Demesten Titip, Théâtre de Ajmer…). « Nous avons beaucoup souffert au début, pensant parfois être complètement à la masse, mais personne ne nous a forcés à le faire. Nous fonctionnons quasiment en autarcie, ne sachant pas faire les choses de façon stratégique mais, soyons francs, un peu de subventionnement ne nous vexerait pas. Chaque année, les institutions nous font la même réponse : si l’on s’en sort comme ça depuis quatorze ans, il ne faut rien changer. La seule chose qui pourrait nous arrêter serait que l’on se retrouve avec la mère Le Pen, ce serait un constat terrifiant, un cataclysme. Nombreux sont les gens qui veulent retourner dans le passé en croyant que c’est une évolution. Cette idée nous fait peur. »
Olivier Puech
Littoral de Wajdi Mouawad par le Groupe Manifeste : du 9 au 19/03 au Théâtre Les Argonautes (33 boulevard Longchamp, 1er).
Rens. : 04 91 84 62 71 / https://sites.google.com/site/lesargos
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