L’obscure source du conte
Un petit pois, un œuf qui tarde à éclore, quelques allumettes… Le Badaboum Théâtre propose un cheminement à travers l’univers singulier et souvent sombre d’Andersen, dont les contes témoignent avec ambivalence de destins confrontés à la misère et au rejet… (lire la suite)
Un petit pois, un œuf qui tarde à éclore, quelques allumettes… Le Badaboum Théâtre propose un cheminement à travers l’univers singulier et souvent sombre d’Andersen, dont les contes témoignent avec ambivalence de destins confrontés à la misère et au rejet.
« La petite fille était assise, les joues rouges, un sourire à la bouche, morte de froid le dernier soir de l’année. Le matin du Nouvel An se leva sur le petit cadavre, assis avec ses allumettes dont un paquet était presque entièrement brûlé » : ainsi s’achève l’un des plus célèbres contes d’Andersen, La petite fille aux allumettes. Bref, très loin de l’habituelle ritournelle sur le thème bien connu du « Ils-se-marièrent-et-eurent-beaucoup… ».
C’est qu’Andersen n’est pas un auteur de contes comme les autres. Contrairement à Perrault par exemple, il n’a pas puisé dans le répertoire des histoires traditionnelles : ses contes sont de son invention et se fondent essentiellement sur son propre vécu. Et à cet égard, Andersen est à lui seul un personnage.
Né il y a deux siècles au Danemark, il grandit dans une famille marquée par la maladie et l’extrême pauvreté — sa grand-mère, comme la petite fille qu’il imaginera plus tard, était vendeuse d’allumettes. Il perd son père à onze ans et est élevé par sa mère, qui cultive un goût prononcé pour les superstitions et les prédictions des voyantes. A quatorze ans, habité de mots et de visions, il décide de devenir poète : il « monte » à Copenhague, y obtient une bourse qui lui permet de suivre enfin une scolarité — et le contraint à partager les mêmes bancs que des enfants qui n’ont que la moitié de son âge… Il rêve de succès comme auteur de théâtre, mais ce sont finalement ses contes — plus de 150 en l’espace de quarante ans — qui lui apporteront la reconnaissance. En clair, un destin tout en obstacles et en contrastes, qui ne prédisposait guère aux enjolivements simplistes : « Les personnages d’Andersen sont souvent de petites gens qui s’efforcent d’avancer, dans une alternance de foi et de désespoir », résume Laurence Janner.
Le spectacle élaboré par le Badaboum Théâtre invite à retrouver trois contes particulièrement connus : Le vilain petit canard, La petite fille aux allumettes et La princesse au petit pois. Autour d’une palissade d’argent étincelante qui tourne sur la scène au gré des contes, l’univers singulier d’Andersen est restitué grâce à quelques éléments simples et évocateurs : de grandes vasques de verre translucide, des bougies qui flottent dans l’eau. Les voix sont basses, presque chuchotées. L’ambiance est calme, sereine, mais étrange et comme menaçante : car dans ces récits qui mêlent étroitement visions oniriques, croyances populaires et réalisme brutal, la frontière entre l’imaginaire et la réalité s’estompe, se déplace…
Ainsi, c’est d’une voix douce, presque chantée, que Peggy Péneau raconte le calvaire de La petite fille aux allumettes — et l’on croirait entendre une berceuse… Quant à la première silhouette qui apparaît sur scène, haute et vaguement inquiétante avec sa lourde redingote et son chapeau haut-de-forme, elle évoque parfaitement l’allure du personnage du récit qui va suivre : raconté et incarné par Pierre Tardif, il s’agit en effet du Vilain petit canard, toujours jugé « trop grand et trop cocasse ». A moins qu’il ne s’agisse de cet autre « personnage », bien réel celui-là, auquel l’une des nombreuses voyantes consultées par sa mère avait prédit qu’il deviendrait un jour « un grand oiseau blanc qui volerait haut dans le ciel »…
Fabienne Fillâtre
Autour d’Andersen, mise en scène de Laurence Janner. Jusqu’au 31 mai au Badaboum Théâtre.