L’Œuvre photographiée : les ateliers d’artiste de Picasso à Warhol
Les mystères de la chambre noire
Pour son ultime exposition, la Galerie d’Art du Conseil Général s’attache à illustrer l’évolution des regards posés par des artistes sur les lieux de créations.
C’est sur un fond de colère et de tristesse que s’ouvre l’exposition. Le 21 septembre, la galerie fermera ses portes, pour cause de « restructuration de service ». Orchestré par le critique d’art Marc Donnadieu, le dernier baroud d’honneur, L’Œuvre photographiée, les ateliers d’artistes de Picasso à Warhol, présente l’évolution des regards posés par des artistes sur les lieux de créations.
L’atelier est cet espace empreint de mystère dans lequel ne pénètrent que les initiés. Les photographies les plus anciennes, qui datent des années 30, rendent compte de l’énigme qui entoure l’acte de création. Bonnard fait humblement face à l’appareil d’Henri Cartier Bresson, se tenant à côté de ses toiles, aussi flou qu’elles. Picasso joue le jeu de la pose sous l’œil de Brassai, droit dans les yeux du photographe. Ces mises en scène paraissent presque drôles aujourd’hui, Artiste pensif, artiste inspiré, artiste en action… Personnes, personnages, mises en scène ou clichés volés, l’exposition donne à voir comment l’artiste apprivoise le regard du photographe, et à travers lui, le nôtre.
La galerie présente deux œuvres célébrissimes de Hans Namuth, qui ont participé à la renommée de Jackson Pollock, sujet des épreuves. Le photographe a privilégié la mise en valeur du geste du peintre. Le territoire et l’espace, notions inhérentes au travail de Pollock, se reflètent dans la composition de la photo, prise au ras du sol. Le mouvement et la position de son corps feraient presque croire à une danse tribale.
Les performances d’Yves Klein, les anthropométries, les peintures de feu et l’emblématique jeté de feuilles d’or dans la Seine sont autant de gestes absolus qui, sans la photographie, seraient restés au stade d’anecdotes. La photographie laisse la trace d’un geste artistique fugace, unique.
L’exposition se clôt sur un triptyque de Gautier Deblonde. Trois clichés au format paysage d’ateliers d’artistes contemporains majeurs : Ai Wei Wei, dont l’espace ressemble à une salle des fêtes désaffectée, Ron Mueck, dont la sculpture géante et hyperréaliste scinde l’image, et Annette Messager, dont les sculptures de tissu noir strient l’espace de l’atelier comme des poupées endormies. Cette dernière œuvre est peut-être celle qui retranscrit le plus justement les mystères de l’atelier. L’artiste absent, l’espace vit de lui-même.
Ces dialectiques, palpables tout au long de l’exposition, ne sauraient camoufler ce qui fait sans doute l’attrait premier de ce type d’images, fascinantes. Il y est question de rapport humain. Comment un artiste permet à un autre de le mettre à nu, de rendre visible, outre son travail, un pan de lui-même rarement affiché. Denise Colomb a participé à la naissance de la légende de Nicolas de Staël, Henri Cartier Bresson a capturé Bonnard dans sa fragilité, et l’enfant dans l’ogre Calder aurait été méconnu sans Clovis Prévost. Malgré la dématérialisation de l’objet d’art, la délocalisation des lieux de créations, la disparition de l’artiste, l’énigme de l’atelier demeure. Cette entrée dans l’atelier ne saurait l’évider de son mystère.
Adèle de Keyzer
L’Œuvre photographiée : les ateliers d’artiste de Picasso à Warhol : jusqu’au 21/09 à la Galerie d’Art du Conseil Général (21 bis cours Mirabeau, Hôtel Castillon, Aix-en-Provence).
Rens. : 04 42 93 03 67 / www.cg13.fr
Rens. : 04 42 93 03 67 / www.cg13.fr