L’Origine du Monde (ou la mythologie grecque racontée aux enfants) par le Théâtre de Ajmer
Histoires d’en rire
Pour son premier spectacle hors des sentiers du théâtre (très) contemporain, Franck Dimech entreprend rien de moins que de raconter L’Origine du monde aux enfants, accomplissant sa tâche avec brio.
L’incipit est quelque peu guignolesque et se légitime aisément : le rire massif, provoqué en masse chez les mini-spectateurs, masque heureusement tout le sordide de la relation incestueuse à l’origine du monde. Avec cet opus, Frank Dimech prend le temps de rappeler un récit aux antipodes de la tradition chrétienne qui, elle, fait naitre la femme d’une côte de l’homme. Ici, c’est la déesse Terre-mère, Gaïa, qui enfante le masculin Ouranos-le Ciel, qui va alors lui-même forcer sa mère à s’unir à lui (!) et à lui donner des enfants terribles : les Titans. Parmi eux, Cronos (le Temps) s’unit alors à sa sœur (!) et mange ses enfants (!!!), dans le but de déjouer une prédiction d’assassinat par sa progéniture. Hélas pour lui et tant mieux pour la suite de notre histoire, sa tactique sera vaine et déjouée par la mère (Rhéa), aboutissant à la victoire des dieux de l’Olympe sur les monstrueux Titans, et ouvrant ainsi une nouvelle ère, plus lumineuse, jusqu’à l’ouverture de la boîte de Pandore, par qui les malheurs arrivent…
Dans ce spectacle foisonnant d’astuces et de références anachroniques tout aussi dépareillées que La Cité de la Peur, le chœur antique ou le sirtaki, Dimech signe là une première pièce jeune public avec brio et avec une intelligence aussi exigeante que généreuse. Aux mythologies anciennes, il mêle des souvenirs de vacances au parfum de souvlaki, poèmes, mélodies et autres petites chansons inventées, transformant le tragique en grotesque illuminé, en s’inspirant de multiples traditions théâtrales et en accordant aux plus jeunes une capacité de compréhension à l’opposé de l’angélisme dysneyien qui envahit notre monde moderne.
Tour à tour, les acteurs — qui ne sont que trois — vont interpréter, avec éclat et une énergie sans cesse renouvelée, les différents personnages de cette cosmogonie, par le recours à d’ingénieux et fantaisistes costumes mais aussi à des marionnettes de grande taille, manipulées à vue, dans la veine d’une tradition extrême-orientale que Dimech maîtrise déjà bien. La scénographie quant à elle ne se prive pas d’effets de fumée (on adore !) , pour une dramaturgie rythmée qui fait monter la tension dramatique et nous emmène vers des textes plus lyriques qu’avait écrit le grand poète grec Hésiode. Reprenant ainsi le flambeau des grands mythes fondateurs, L’Origine du Monde est un spectacle virtuose, qui transforme, en quelques bouts de ficelle et avec beaucoup d’humour, la tragédie en une farce réjouissante et nourrie, toutes générations confondues.
JS
L’Origine du Monde (ou la mythologie grecque racontée aux enfants) par le Théâtre de Ajmer : jusqu’au 27/11 au Badaboum Théâtre (16 quai de Rive-Neuve, 7e).
Rens. : www.badaboum-theatre.com