Loin des musées et institutions ancestrales, quelques rêveurs, épris de couleurs et de mots, déplacent leur tente de villes en villages, transportant dans leur malle un portrait sensible et inédit de Cézanne… (lire la suite)
Loin des musées et institutions ancestrales, quelques rêveurs, épris de couleurs et de mots, déplacent leur tente de villes en villages, transportant dans leur malle un portrait sensible et inédit de Cézanne.
Des histoires circulent. Cézanne, c’est peut-être l’ancien voisin de la vielle femme qui préparait des marrons chauds les soirs de mistral où le grand-père, alors jeune écolier, préférait se réchauffer en écoutant les longues litanies de la vioque plutôt que de s’occuper des menus travaux du mas familial… C’est peut-être aussi le dessin découvert fortuitement derrière cette toile barbouillée que vous avez laissé fondre sur le radiateur, à moins que ce ne soit cet homme un rien solitaire dont un ami vous a dit qu’il connaissait un autre ami qui lui avait dit qu’il avait retrouvé l’endroit exact où il posait son chevalet pour mieux sentir du regard les ombres de la Sainte-Victoire… Les sentiers brûlés par le soleil de Provence regorgent de ces petites brèves qui tentent de cerner un artiste longtemps délaissé, considéré comme un original, incompris de ses voisins qui ne désiraient rien d’autre qu’une toile bien faîte, réaliste, calculée, une nature morte d’un paysage qui pourtant vibre sous le vent et les grillons. Prendre le contre-pied de cette attitude, s’installer sur les places publiques et dépoussiérer notre regard sur la peinture de Cézanne, lui enlever la lourde couche de glose et d’exégèse véhiculées par l’histoire de l’art et retrouver la fascination d’un homme pour les couleurs de la terre, des pins, des mimosas, de l’eau qui se mêle au ciel, ou du ciel qui se fond dans l’eau, c’est le point de départ du voyage initié par le Théâtre du Jeu de Paume. Sous le chapiteau de Cézanne sous la toile, on va, on vient, on saisit un livre — par exemple la très fine Leçon de la Sainte-victoire de Peter Handke —, on revient quémander un sirop de châtaigne, d’orangeade, petite saveur sucrée qui coule sur les lèvres, et l’on se pose pour écouter et s’embarquer. Première escale : une excursion au cœur des pigments — ocre rouge et jaune, terre verte, noir de vigne et bleu outremer — où l’on se surprend à désirer pénétrer dans l’alchimie de la couleur idéale, celle qui sera la plus chatoyante, la plus vive, un peu comme ce soleil qui nous brûle les soirs d’été[1]. Deuxième escale : une découverte sensorielle de l’univers de Cézanne[2] autour du tableau Les grandes baigneuses, que l’artiste a mis près de dix ans à peindre, et qui incite les plus jeunes à « avoir des sensations et lire la nature ». Dernière escale : avant l’arrivée au port… un fourmillement de mots, des mots qui tirent par ici et par là, qui veulent être une escalade de notes suspendues entre ciel et terre, au plus près de l’esprit qui guide le créateur, aussi éloignées que possible de la biographie figée et savante que l’on attendait secrètement. Serge Valetti, dont l’on retrouve ici la finesse, le goût du saut, le passage d’une idée à une autre, ne donne rien de stable avec Je suis l’ami du neveu de la fille de l’ami intime de fils du voisin de Paul Cézanne[3]. Plutôt un courant mouvant qui nous emporte de la tante Théo aux petits cailloux essaimés dans le monde, métaphore de l’œuvre dispersée aux quatre vents, jusqu’au point sensible de la peinture, ne cessant de nous répéter : « Mais quand comprendrez-vous donc que ce que vous voyez devant vous, que ce que vous croyez voir devant vous, n’est qu’une construction imaginaire de votre pensée intérieure ? »
Texte : Diane M.
Photo : Christine Sibran
Cézanne sous la toile. Du 31/05 au 3/06 à Peyrolles (Rens. 04 42 57 89 82) et du 7 au 10/07 à Meyreuil (Rens. 04 42 65 90 41)
Notes
[1] Atelier proposé par Okhra à 12h les mercredis et samedis
[2] Animation proposée par Artesens pour les enfant à partir de 14h
[3] Pièce de Serge Valetti jouée par Christian Mazzuchini, à 21h