Marsatac #11 : du 24 au 26/09 au Dock des Suds
Marsatac, phase 2
Depuis qu’il a pris ses quartiers en septembre, le festival de musiques actuelles est progressivement devenu l’événement qui marque le lancement de la saison culturelle à Marseille. Après avoir fêté ses dix ans l’an dernier avec succès, il entre aujourd’hui dans une deuxième phase de son histoire, intimement liée à son nouveau statut de poids lourd. Ce qui soulève quelques questions : comment continuer à grandir sans trahir sa dynamique originelle ? Peut-on ouvrir sa programmation à toutes les musiques ? Marseille sera-t-elle à l’écoute, à l’aube d’un challenge qui semble déjà la dépasser ? Parce que Marsatac est désormais une institution, les enjeux diffèrent, comme les points de vue. Et la frontière qui sépare la critique des louanges de circonstance, parfois mince. La preuve par deux.
Un vaisseau amiral à quai
C’est la grande interrogation du moment : où Marsatac se tiendra-t-il donc en 2010 ? Après dix ans de tentatives, de déboires et de réussites qui se sont finalement soldés par un franc succès public (27 000 personnes l’an passé), l’équipe organisatrice, Orane, n’a toujours pas de lieu à disposition pour y implanter durablement sa manifestation. Tout le monde le sait : c’est une aberration. Tout le monde le sait, ou presque : la municipalité a jusque-là bloqué pour des questions de nuisances sonores, à prendre au premier ou au troisième degré, c’est selon. Mais avec l’échéance de Marseille Provence 2013 (capitale européenne de la culture !), les choses sont en train de changer : question de timing, de rapport de force(s). Les médias nationaux s’en sont mêlés, à coups de papiers rieurs, sur la lancée du déplacement du Festival de Marseille, ou de l’annulation de Seconde Nature à Aix. En fin de compte, le dialogue a été renoué avec la municipalité, et une solution pourrait être trouvée, d’après les organisateurs, dans le mois qui vient… Ce serait une victoire. Car tout du long de son histoire, Marsatac a été contraint de grandir dans l’itinérance, jusqu’à en faire — bien malgré lui — une caractéristique forte. En début d’année encore, il ne savait pas où aurait lieu sa onzième édition, pour finalement « choisir » en mars de se rabattre sur un Dock des Suds qui, par la nature des événements ayant fait sa réputation (la Fiesta et Babel Med), garde une image forte. Alors que la route de Marsatac a déjà croisé celle de la grande salle située dans le secteur Joliette, comment appréhender cette nouvelle édition ? Le Dock des Suds a toujours été un lieu de transit : à la croisée des cultures et des hommes, un port à l’intérieur du port. La question d’une escale n’est donc pas un problème en soi : l’équipage fera tout son possible pour que les passagers en gardent un souvenir impérissable (chapiteau additionnel à l’appui). En outre, il y a désormais une soirée dont l’esthétique fait converger les deux entités. Et pas des moindres : la soirée d’ouverture, axée depuis l’an passé autour d’une collection de créations initiée à Bamako (« Mix-Up »), et poursuivie aujourd’hui avec la jeune garde de Beyrouth (sous la direction de Rodolphe Burger). Le Moyen-Orient à l’honneur, donc, avec également une carte blanche à Rachid Taha et deux autres projets très contemporains : la cohérence et la qualité du plateau est telle qu’on le situerait presque idéalement… en pleine Fiesta. Quant à la pertinence du projet sur le long terme, puisqu’il est appelé à sillonner la Méditerranée sous la forme de résidences, elle traduit bien la volonté du festival de se diriger vers « de plus en plus de créations et de spectacles inédits dans les prochaines années. » Marsatac ne s’arrête d’ailleurs pas là en la matière, en proposant deux autres créations quasi-exclusives : l’une initiée par l’Anglais d’origine indienne Nitin Sawhney, et réunissant des musiciens de Gênes, Marseille et Manchester, l’autre associant l’orchestre béninois de Poly Rythmo (quarante ans de carrière) aux jeunes loups écossais de… Franz Ferdinand. On connaissait le caractère hétéroclite de la programmation, on ne savait pas qu’elle se permettrait un jour tel grand écart, cette rencontre entre deux générations étant en soi pleine de promesses. Pour le reste, la variété des genres représentés permettra une fois encore à beaucoup d’y trouver leur compte, puisque les artistes programmés font partie d’une catégorie assez sous-représentée, au cours de la saison, à Marseille. Bref : ayant réussi à s’imposer à force d’opiniâtreté, Marsatac est dans de bonnes dispositions pour aborder les quatre prochaines années. Le succès donne des ailes. Un élu de la Région en conférence de presse : « Parce qu’il faut envoyer des signaux clairs à l’étranger sur la construction de Marseille Provence 2013, le départ de Marsatac de Marseille serait une catastrophe. » Tout est dit.
Un paquebot qui change de cap
« … pour accueillir 70 000 personnes en 2013, sur les plages, le Port Autonome et dans le centre-ville de Marseille. » On approche de la fin de la conférence de presse, et l’assertion de Dro Kilndjian, directeur artistique de Marsatac, ne manque pas de provoquer quelques remous dans l’assistance. C’est dit sur le ton de la plaisanterie, mais également avec un aplomb qui en dit long sur la nouvelle assurance dont fait preuve Orane. Après tout, l’association organisatrice a mis dix ans à se battre contre vents et flambées pour imposer un événement d’envergure nationale, nécessaire dans le sud de la France. Alors qu’est-ce qui cloche ? On pourrait commencer par là : une fois franchi un certain cap, la mutation d’un projet appelle naturellement celle de ceux qui le régissent. Le succès donne des ailes… Marsatac a longtemps été un projet que nous avons soutenu, parce que séduisant artistiquement, différent dans sa manière d’envisager sa place à l’égard de son territoire et de ses homologues, et porté par une équipe qui affichait des valeurs que nous étions (et sommes toujours) nombreux à partager. Depuis quelques années, un glissement s’est opéré, manifeste mais largement ignoré par certains relais d’opinion, bien trop heureux de pouvoir prendre le train en marche. Concrètement : Marsatac est devenu une grosse machine, visiblement moins préoccupée par la pertinence de son affiche que par son potentiel d’attraction, écrasante dans sa stratégie de développement par rapport à certains acteurs locaux des musiques actuelles, et donc plus si cool que ça (malgré le décorum « Tout le monde il est djeunz, tout le monde il est fonky », relayé par des newsletters d’une niaiserie confondante). Il y a d’abord eu la colère des intermittents marseillais, il y a deux ans, quand une bonne partie de l’équipe technique a été remplacée par des homologues de Bourges. « On a tout intérêt à s’allouer les compétences les plus pointues si l’on veut arriver à un résultat probant », répondait Dro Kilndjian l’an dernier dans ces colonnes. En expliquant aussi que l’expansion d’un tel festival passait notamment par une ouverture vers d’autres musiques, quitte à marcher sur les plates-bandes de certains confrères. De fait, il inaugurait une soirée « world » à trois semaines de l’ouverture de la Fiesta des Suds. En concertation avec ses aînés ? Non. Ceux-ci accueillent pourtant Marsatac cette année, dans un geste politique qui ne trompe personne mais remet certaines choses à leur place : le Dock des Suds a toujours été un lieu de transit. Les musiques du monde sont donc un nouveau cheval de bataille pour Marsatac, mais aussi les musiques noires (funk, soul, reggae…). Au-delà des problèmes que cela pose déjà avec les divers acteurs locaux « historiques » sur leur petite parcelle de terrain, allant parfois jusqu’à monter des contre-événements d’envergure modeste sur le même week-end de septembre, est-il souhaitable que l’identité de Marsatac se dilue dans un grand raout de musiques amplifiées mais plus si détonantes ? On connaissait le caractère hétéroclite de la programmation, on ne savait pas qu’elle finirait un jour par suivre la tendance plutôt que de la devancer — comme ce « petit frère des Transmusicales » nous l’avait fait miroiter. Qui a envie, en 2009, de s’envoyer Archive, Raekwon ou Felix Da Housecat ? Il ne s’agit pas de stigmatiser une affiche qui présente une ribambelle d’artistes intéressants. Mais en dehors des créations, bon nombre d’entre eux ont déjà été programmés à Marseille, ou le sont ici noyés dans un line-up qui commence sérieusement à fleurer l’abattage. En revanche, la scène locale est cette année valorisée comme il se doit, conformément à ce qui avait été annoncé l’an passé dans ces pages. On l’espère franchement, mais à vrai dire, on ne doute pas de la réussite de cette onzième édition et des suivantes. L’équipe organisatrice non plus : elle a « fixé » la réponse de la Ville sur la question de sa pérennisation au 24 septembre, jour de l’ouverture du festival.
Texte : PLX
Photo : Andy Trax
Marsatac #11 : du 24 au 26/09 au Dock des Suds.
www.marsatac.com