Marsatac, l’âge rebelle
Décibels, nouvelles sapes et sucreries : Marsatac a treize ans et toutes ses dents (qui collent). Explorons le champ des possibles.
Etape 1 : récupère tes bonbons multicolores en forme de tête de mort sur notre page Facebook, et clique sur « J’aime ». Tu peux aussi télécharger les visuels de tes bonbons. Etape 2 : mets-toi en scène avec tes nouvelles munitions, et si possible un lance-pierre que tu auras confectionné avec un bâton fourchu en forme de Y, une chambre à air de vélo et un morceau de cuir. Lâche-toi ! Montre-nous ton côté rebelle.
Etape 3 : envoie ta photo par mail pour publication sur l’album du jeu-concours, et participe ainsi à la communication du festival.
Etape 4 : invite tes amis à voter pour ta création ! Ils génèreront du buzz, c’est trop cool. Etape 5 : euh… Peut-être gagneras-tu l’une des quelques places que le festival offre aux participants de son grand jeu de l’été. Et fais attention à ne pas te faire mal avec ton lance-caillou, c’est dangereux !
Bien. Marsatac 2011 : où en sommes-nous ? Excellente question, merci de l’avoir posée. Petit résumé des épisodes précédents : après avoir laissé entrevoir l’espoir fou, au début des années 2000, d’un festival de musiques actuelles à dimension internationale qui replacerait Marseille au centre de tous les débats, tant par sa politique de brassage des publics que par la qualité de sa programmation, Marsatac s’est dilué progressivement dans un déluge de décibels et de baraques à chips, prenant pour cible les plus jeunes à qui ça coûte bonbon et bras, pris au piège d’un succès qui lui était logiquement promis, comblant des années de coups durs, la fraude, les vents, le feu, par une soudaine prise de distance avec ce qui constituait son socle : Marseille. Aïe ! Fais attention avec ton lance-caillou ! Essaie encore : après être arrivé dans le paysage culturel local avec un petit événement qui voulait tant ressembler à sa ville, parce qu’ouvert, parce que coloré, parce que fier de cet ancrage dont il avait pris le nom, Marsatac est devenu à force de travail l’un des plus beaux emblèmes de Marseille Provence 2013, un festival associé à de prestigieux sponsors, un festival éco-responsable, qui ose le rock et adore l’électro, une authentique machine à rêves pour la génération future. Voilà ! Tu vois quand tu veux !
Bon. A ce stade, il faut poser les bonnes questions. Marsatac prend-il les jeunes pour des bulles ? Oui, mais manifestement, ça marche. Marsatac est-il un festival qu’il faut soutenir ? Oui, coûte que coûte, parce que c’était quand même un sacré défi, et que Marseille aura toujours besoin d’avoir des challengers pour éviter de se complaire dans sa tranquillité. Marsatac a-t-il sa place à la Friche Belle de Mai ? Non, l’an dernier, ça a tourné en rond. Marsatac va-t-il enfin trouver le lieu d’accueil qui lui fait tant défaut à Marseille ? Oui, ce n’est qu’une question de temps. Faut-il aller à Marsatac ? Peut-être, il y a toujours de bonnes surprises dans un festival, même si celui-ci prend désormais nettement moins de risques : beaucoup d’artistes programmés sont des valeurs sûres de l’underground, émergentes mais fédératrices. Elles dessinent une cartographie de ce qui marche en grande partie déjà, pop fluo, électro tapageuse, hip-hop hybride, et il y a un public pour cela, blanc, plutôt très jeune, bien nourri. Mais en fin de compte, le problème, ce n’est pas la musique, ce ne sont pas les artistes, ni bien sûr les jeunes. C’est ce que l’on en fait : la cible d’une industrie qui passe désormais par le « live » pour pouvoir vendre du soda, du téléphone ou du hi-tech. Peut-on s’afficher rebelle, dans une ville historiquement rebelle, tout en permettant cela ? L’industrie du cool a-t-elle définitivement pris le pas sur l’utopie des braves ? Qu’est-ce que l’identité marseillaise ? Où se situe le point d’équilibre entre singularisation et assimilation ? Et toi Kevin, t’en penses quoi ? « Trop grave, la life ».
PLX
Marsatac : du 29/09 au 1/10 à la Friche Belle de Mai, avec la participation d’Aires Libres en clôture le 2 au Parc Longchamp (gratuit). Rens. www.marsatac.com
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L’Interview
Sébastien Manya
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Parce ce qu’Aires Libres c’est bien et que ça nous ressemble, nous avons rencontré celui qui se démène pour faire vivre cette belle aventure.
Après l’annulation de l’édition 2011 à l’Etang des Aulnes, cette version « in Marsatac » signe in extremis le retour de l’évènement à Marseille. Cela vous tient-il à cœur ?
Bien sûr. C’est notre ville natale. C’est là où Aires Libres est né, conçu au Parc Borely. Les éditions dans les Domaines Départementaux ont amené une autre dimension au projet, une inscription « en pleine nature », poussant un peu plus loin l’originalité de l’évènement, et renforçant la place de la nature dans la réussite de ces journées. Mais le fait de revenir au format des débuts — ou presque — nous fait du bien, même si cela s’est fait dans des conditions un peu acrobatiques, et qu’à la base, ce retour n’est pas de notre seule initiative. En fait, suite à l’annulation à l’Etang des Aulnes, Patrick Menucci nous a proposé cette option, en nous attribuant des crédits régionaux et en facilitant les demandes d’autorisations auprès de la Mairie de Marseille. On a reçu ensuite un vrai soutien de la Mairie des 4e/5e arrondissements. Et autant nous avons pu mesurer en 2006 le pouvoir de blocage que pouvait avoir une mairie de secteur rétrograde, autant aujourd’hui nous sommes surpris du professionnalisme et de l’ouverture d’esprit avec lesquels notre projet a été accueilli et suivi. La collaboration avec Marsatac a aussi été décisive. Ce n’est pas la première fois que nous envisageons des projets ensemble, qu’on essaye d’associer nos savoir-faire complémentaires autour de l’idée d’un volet gratuit pour le festival dans la ville. Cet été, les conditions se sont trouvées réunies, et malgré le timing imposé, ils nous ont suivi et ont joué le jeu, y compris financièrement. La synergie qui existe ces jours-ci entre nos deux communications est la preuve que ce partenariat fonctionne, et à des échelles certes différentes, je crois que cela profite vraiment à nos deux événements. Pour Aires Libres, cette implantation en ville a du sens : même si nous quittons la vraie nature et que les Marseillais y perdront un peu en dépaysement, ils seront ravis de pouvoir s’y rendre cette fois en tramway ou même à pied. Et avec la réduction drastique des émissions carbone que cette position en centre-ville va permettre, on peut dire que de ce côté-là aussi, on retombe plutôt bien sur nos pattes en matière de développement durable.
Espérez-vous un retour définitif à Marseille ?
C’est quelque chose que l’on n’avait pas imaginé pour tout de suite, même si la perspective 2013 nous y amène de plus en plus fréquemment. Mais Aires Libres revêt désormais plusieurs formes, avec aussi de plus petits évènements, comme les Belvéd’Aires dans les Hautes-Alpes. Des rendez-vous qui nous permettent de remonter à la source du projet. On y transpose les mêmes éléments, mais à la montagne ou autour de monuments historiques, dans des cadres naturels encore plus forts. On a même mené l’hiver dernier une première expérience « en pleine neige » à Puy St Vincent (05), en lien avec un événement de ski freestyle. Ces petits formats sont des déclinaisons qui nous permettent de faire vibrer autrement le même esprit Aires Libres. D’autre part, de plus en plus de festivals veulent aujourd’hui ouvrir un volet gratuit et jeune public dans leur programmation. Comme Nuits Sonores à Lyon, qui nous a commandé une journée sur le modèle d’Aires Libres en coproduction avec eux, ou Résonance à Avignon, sur lequel nous sommes intervenus avec des ateliers Jeune public. Dans l’idéal, on aimerait pouvoir mener ces différents projets de front : un grand évènement-vitrine à Marseille, des collaborations ouvertes avec d’autres festivals, et le reste de l’année des petites déclinaisons thématiques sur d’autres territoires, pourquoi pas aussi vers l’Europe. Mais vu qu’en sept ans, nous n’avons réussi qu’une fois à reproduire l’événement deux années de suite au même endroit, j’ai un peu du mal avec le mot « définitif ».
A propos, d’où vient cet aspect nomade d’Aires Libres ?
Ce nomadisme n’est pas quelque chose de souhaité au départ, c’est plutôt un mode de réponse libertaire à des changements de situations, de conditions, des déplacements guidés par la recherche de nouveaux moyens de réalisation et de subsistance, auprès d’autres financeurs publics. Une journée Aires Libres coûte cher, entre 50 et 70 000 €, et la gratuité de la manifestation nous impose de chercher des financements publics et privés bien en amont, surtout publics. Je pense que nous avons fait la preuve en six ans de la qualité et de la pertinence du projet qui, au-delà de sa nature artistique, répond simultanément à de nombreux objectifs culturels, sociaux et de développement des territoires. Mais Aires Libres a beau être assimilé aujourd’hui à une manifestation d’intérêt général, les difficultés que nous rencontrons nous renvoient à un modèle économique complexe. Mais nous tenons bon jusque-là, sur le principe de gratuité, intrinsèque au projet, même si cela signifie pour nous une liberté d’évolution limitée, et une forte dépendance aux subventions, au contexte politique. Je crois que nous évoluons un peu à l’image des processus naturels d’adaptation chez les plantes, ou les animaux face aux mutations de leur environnement. Notre trajectoire a plutôt à voir avec ça qu’avec d’hypothétiques stratégies politiques. Dans ces situations de crise, nous avons toujours cherché le positif et la meilleure solution pour le projet (au détriment parfois de nous-mêmes, et de nos efforts de structuration de l’asso). C’est en se recentrant sur l’essentiel des valeurs et atouts d’Aires Libres que nous avons trouvé la force pour nous adapter ensuite à des conditions changeantes.
Qu’est-ce qu’Aires Libres en 2011 ? Comment se porte le projet ?
Malgré les rebondissements, on arrive finalement tant bien que mal à financer un Aires Libres digne de ce nom. Mais l’acrobatie, ça suffit, et il est temps maintenant que l’on puisse pérenniser un projet plus stable et consolider notre structure, avec des aides à la fois de la Région, du Département et pourquoi pas de la Ville, comme beaucoup d’autres festivals. Aires Libres et un projet suffisamment fédérateur pour cela. En tout cas, nous ne voulons plus revivre une telle soumission aux aléas et à un seul partenaire public. Je rêve d’avoir une vision ne serait-ce qu’à moyen terme de nos moyens, pour pouvoir travailler plus posément. En même temps, je me vois mal me tourner vers de gros financeurs privés, qui pourraient dénaturer gravement le projet, et cette alchimie qu’on est parvenu à créer. Enfin, il faut reconnaître qu’on ne cherche pas la facilité, à vouloir associer gratuité et qualité, techno et enfants, protection de la nature et grands rassemblements, festival et réunion familiale… vouloir être libre et en même temps subventionné… La programmation des ateliers est pensée d’abord pour les petits, mais pas seulement, le but étant aussi de créer des temps d’activité partagés entre enfants et parents. Il y a ainsi plusieurs niveaux de lectures. L’atelier de Circuit Bending illustre très bien notre démarche, cet esprit de joyeux piratage électronique. Il représente à lui seul tout un pan de la culture électro : le détournement ludique des technologies, le recyclage, le vintage… tout ce qu’on aime, et qu’on a envie de transmettre à nos mômes. Côté musique, c’est vrai qu’on ne programme pas de sonorités trop expérimentales, même si on aime ça, privilégiant des formes plus chaudes et accessibles comme le dub ou la house. On pense aussi au plaisir des publics en créant une ambiance agréable pour tous, y compris pour séduire d’autres générations, ou les passants auditeurs « malgré eux » de nos nouvelles musiques. Nous ne sommes pas des marginaux, plutôt des « originaux ». On aime travailler aux limites des genres, jouer avec les paradoxes… C’est là que se créent des étincelles ! Là que naissent des idées géniales, ou des regards nouveaux sur notre société. On se retrouve ainsi souvent à injecter un peu de folie ou de poésie dans la rigueur d’une organisation maîtrisée, ou au contraire une dose de rigueur pour canaliser la folie de créateurs géniaux.
Que reste-t-il à faire ?
Ce ne sont pas les idées et les projets qui manquent, ni même les sites, c’est plutôt une question de moyens qui fait que certains voient le jour, et d’autres pas. Nous tenons en tout cas à cette idée de date vitrine en grand format, qui nous permet de continuer à développer notre concept et tester d’autres innovations, en maintenant une programmation artistique prestigieuse et une visibilité nationale, pour pouvoir ensuite dégager des moyens au profit d’autres petits projets. Comme de poursuivre les échanges initiés entre la métropole et les territoires reculés de la région, en montagne par exemple, où les Aires Libres colportent un peu du bouillonnement des cultures urbaines en échange de sites naturels superbes pour les accueillir.
Tu dois être au courant des annulations successives de plusieurs soirées estivales sur le bord de mer marseillais, comme la Buvette Disco… Qu’est ce qui cloche ici selon toi ?
Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais on voit bien que dans certains secteurs de la ville, la mairie d’arrondissements joue avant tout un rôle de caisse de résonance pour quelques riverains influents. S’ajoutent à ces grands résidents des habitants issus des classes moyennes, dont certains ont économisé toute leur vie pour vivre dans ces quartiers-là, et eux supportent encore moins d’être dérangés. On peut toujours se mettre à leur place et essayer de les comprendre individuellement, mais comment parler de démocratie locale quand une dizaine de personnes d’un côté empêche des milliers d’autres de se retrouver autour de rendez-vous conviviaux ? Et l’on voit donc aussi qu’il existe des mairies de secteur où des responsables politiques voient un peu plus loin que le bout de leur rue, et sont sensibles à l’épanouissement des plus jeunes, ou aux liens sociaux qui se tissent autour de tels événements. Après, les choses ne sont pas aussi claires qu’on le voudrait, et je pense qu’à côté de ces riverains, et des probables jalousies commerciales d’autres organisateurs moins inspirés, les soirées de la Buvette et de la Cabane ont aussi souffert d’un contexte sulfureux, avec la focalisation médiatique qui venait d’être portée juste avant sur les Roumains, puis le piratage du parking de la Porte d’Aix. Un tout qui a fait déborder le vase, provoqué le « pétage » de plomb de Sarkozy, le renvoi du Préfet… On ne vit pas dans une ville progressiste, ça c’est sûr, et les nouvelles cultures sont loin d’être la priorité de la politique culturelle municipale. Avec Aires Libres, cela fait des années que l’on ne se fatigue même plus à déposer de dossier de subventions en mairie. On espère que la réussite de cette édition au Parc Longchamp nous permettra de repartir sur de meilleures bases, et que cela profitera aussi aux autres acteurs et publics des musiques actuelles à Marseille.
Que penses-tu de Marseille Provence 2013 ?
C’est une grande occasion qui arrive, même si je crains que si les grands projets ne prennent pas, l’on veuille nous amener à travailler tous les uns avec les autres, en montant une grosse bouillabaisse dans laquelle personne n’aura été oublié, mais où personne non plus ne se reconnaîtra au final. En tout cas, vu l’ambiance, je n’aimerais pas être à la place des chargés de projets qui doivent à la fois composer avec les réseaux d’influence, jouer du compromis, innover et créer des choses durables. C’est là que se situent en tout cas mes principales attentes : des créations marquantes et des changements durables. Je sais aujourd’hui qu’en 2013, nous devrions organiser deux « super Aires Libres » aux portes de l’été, articulés sur un parcours de petites journées à travers le territoire. Mais espérons qu’en 2014, nous n’aurons pas à revenir trop en arrière.
Propos recueillis par Jordan Saïsset
Aires Libres in Marsatac : le 2/10 au Parc Longchamp à partir de 10h, entrée libre.
Rens. aireslibres.wordpress.com