Pour sa douzième édition, le festival de musiques actuelles s’installe à la Friche la Belle de Mai, totalement réaménagée pour l’occasion. Une association souhaitée comme durable par la Ville de Marseille, toujours réticente à l’idée d’implanter la manifestation sur les plages du Prado. Pour combien de temps encore ? Réponse dès la première ligne.
Scoop : d’ici à 2013, le festival Marsatac se déroulera bel et bien sur les plages du Prado, ainsi que l’indiquait en filigrane l’équipe organisatrice lors de la conférence de presse de l’édition précédente. Bien sûr, vous ne lirez ceci nulle part ailleurs. Mais c’est pourtant exactement comme ça que les choses se dérouleront, à l’aube d’un événement — Marseille Capitale Européenne de la Culture — qui a déjà beaucoup fait jaser. Car depuis l’an dernier, depuis une édition au Dock mal vécue de part et d’autre, depuis cette éternelle question de l’itinérance, vécue bien malgré elle, ayant fourni la matière à une tripotée d’articles acerbes dans la presse nationale, les choses sont progressivement en train d’aller dans le sens de Marsatac. Qui, contrairement à ce que l’on peut entendre ici et là, est aujourd’hui sur des rails : la voie est toute tracée pour en faire l’un des mastodontes de 2013. La semaine dernière, en conférence de presse, on a donc vu des élu(e)s porter ce bandana (fort joliment d’ailleurs) qui est le nouvel outil de com’ chic et toc de cette douzième édition, d’autres venir taper ouvertement la bise à la directrice, à même l’estrade et en pleine séance, après avoir ridiculisé la position de la municipalité sur la question qui fâche — ces plages qui se refusent à l’implantation du festival. Gauche contre droite, avant-garde contre arrière-garde, blah-blah-bli, blah-blah-blah. La Mairie, au centre de toutes les attentions et dans la perspective des municipales de 2014, a donc tout intérêt à mettre un peu d’eau dans son pastis. Pour ce faire, le premier accord qui a été trouvé concerne la réhabilitation de certaines parties de la Friche la Belle de Mai (la salle de la Cartonnerie notamment, dont l’acoustique a été refaite et la jauge doublée), où se déroule cette nouvelle édition. Ceci afin, c’est explicite, que l’association entre la Friche et Marsatac puisse durer le plus longtemps possible… Pour l’instant, chacun y trouve son compte : la direction du festival se félicite de pouvoir travailler avec le principal pôle artistique de Marseille, vivier de structures essentielles au développement de la culture sous toutes ses formes, et la Friche en profite pour faire peau neuve en matière d’aménagements (pérennes, cela va sans dire). 400 000 euros ont donc été débloqués par les collectivités dans cette optique, et vous allez découvrir un espace tel que vous ne l’avez jamais connu auparavant : quatre scènes (la Cartonnerie, le Cabaret Aléatoire, la salle Seita et un chapiteau) reliées par la rue intérieure du site, lequel accueillera moult stands de restauration et merchandising (en espérant éviter à nouveau le syndrome « fête foraine »). Patrick Menucci (vice-président PS chargé de la culture à la Région et récemment élu à la tête de l’Arcade) y emmènera de son propre aveu Dominique Tian (maire de secteur UMP à Marseille) pour aller partager, par exemple, un hot-dog devant le concert du Peuple de l’Herbe. Et lui expliquera, entre deux taffes, que la municipalité aurait tout intérêt, pour participer au développement de son image de Capitale, à placer son argent de la meilleure façon qui soit. Pendant ce temps-là, vous aurez tout loisir de goûter aux joies d’une programmation qui s’est étoffée depuis l’an dernier (une cinquantaine d’artistes) dans les registres que Marsatac s’est appropriés au fil du temps : hip-hop, rock, électro sous toutes ses formes. On pourrait pointer une certaine facilité dans ses choix (Beat Assailant, Shaka Ponk…) et autres redites, mais ce serait injustement passer sous silence les très nombreuses découvertes qui vous attendent, et la bonne qualité de l’ensemble (voir notre sélection ci-dessous). En revanche, nulle trace des créations initiées précédemment avec différentes villes à l’étranger (résidences à l’appui), et annoncées comme un élément clef des éditions à venir. Ni, toujours, d’espace conséquent dédié au réel bouillonnement de la scène artistique locale. Pour un événement qui a capitalisé, de par son intitulé même, sur le fameux effet « Marseille, ville ouverte sur le monde », c’est un peu limite. Comme, d’ailleurs, de continuer à brandir haut et fort le drapeau de « l’indépendance », alors que dans ce concert de louanges institutionnel, tout est désormais affaire de réseaux et de soutiens stratégiques… L’indépendance, en fait, est un geste qui n’est pas donné à tout le monde, et d’ailleurs, il s’acquiert. Tout le reste n’est qu’histoire d’arrangements entre partenaires, brèves de buffet et autres considérations de gens qui savent, tant de choses et d’autres qu’il est toujours souhaitable de ne pas divulguer aux plus jeunes s’ils entendent garder intacts leurs idéaux. Donc : place à la musique.
PLX
Marsatac #12 : du 23 au 25/09 à la Friche la Belle de Mai.
Rens. www.marsatac.com
- Focus
La sélection très subjective de Ventilo, par encadrés thématiques. Bien d’autres concerts et dj-sets vous attendent bien sûr à la Friche : partez à leur découverte…
Les tapageurs
Rouleaux compresseurs du dancefloor, ces trois-là développent chacun dans leur style une puissance qui ne prend son ampleur que tard dans la nuit. Déclinant les infrabasses à tous les modes, The Qemists croisent la drum and bass et le métal dans un déluge de feu évacuant toute forme de finesse. Missill, quant à elle, turbine tout ce que les musiques électroniques ont de plus indigeste pour en faire une sauce violemment sucrée pas si écœurante qu’il n’y parait. Dans un sillon voisin, plus ghetto que fluo, les Italiens Blatta & Inesha œuvrent sur le fil ténu séparant techno, fidget house et hip-hop.
Jérémie Morjane
Les darons
Anciens au sens respectable du terme, ces deux-là ont largement imprimé leur marque sur les musiques électroniques depuis plus d’une dizaine d’années. Quand l’un est le leader de tendances le plus visionnaire que la musique électronique française ait connu, l’autre est le Midas anglais, transformant tout ce qu’il touche en (disque d’)or. Entre bangers techno et électro-rock, missiles sonores et hymnes de stade, il y a fort à parier que l’opposition du french flair au dandysme anglais laissera des traces sur le champ de « bataille ».
Jérémie Morjane
Les virtuoses
Parfois décrié pour sa tendance à privilégier l’aspect technique à l’impact dancefloor, le turntablism mute aujourd’hui vers le spectacle total. Biberonnés au hip-hop flambant du golden age des nineties, ces experts ès « platinisme » comptent parmi les dj’s les plus respectés par leurs pairs. Dans une veine électronique comme le Canadien A-trak (Dj officiel de Kanye West, rien que ça!) et Pfel (moitié de l’infernal duo BeatTorrent) ou dans le sillon plus hip-hop de Scratch Bandits Crew, ces magiciens des platines devraient ensorceler le festival.
Jérémie Morjane
Les allumés
Ils sont bourrés de talent mais ne ressemblent à rien de connu. Voici nos trois excentriques. La formation électro-funk Misteur Valaire aligne cinq jeunes Québecois impétueux et chauffeurs de salles… vêtus de streetwear customisé avec de la fourrure et abusant des cuivres ou des batteries jouées parfois à la main. Les trois Nippons de D.V.D. jouent de la batterie et des percussions coordonnées sur un jeu vidéo… et la partie qu’ils jouent constitue le show. Bonnie Li, jeune découverte de ce festival, est quant à elle comparable à Emilie Simon… quand elle ne joue pas avec un mégaphone, a capella.
Jonathan Suissa
Les incontournables
Marsatac étant à l’origine un festival hip-hop (en témoigne cette propension persistante à vouloir cloisonner ce public-là sur le vendredi), il fait venir depuis quelques années une grosse tête d’affiche. Pas cette fois-ci : Talib Kweli et Anti Pop Consortium sont plus indé, mais on les préfère mille fois à certains autres. Côté rock, la grande surprise est le retour de A Certain Ratio, formation culte anglaise des années post-punk, ou comment faire souffler le chaud (les percussions) et le froid (tout le reste) sur Manchester. Enfin, si les temps forts en électro seront nombreux, on retiendra évidemment la house minimale et sexy des Berlinois M.A.N.D.Y, bien seuls sur ce registre.
PLX
Les locaux
A côté d’un heureux plateau radio Grenouille/Nova et d’un before assuré au Kiosque de la Place des Réformés, ils ne sont que trois à compter cette année dans la programmation officielle de Marsatac. Des choix sans surprise, puisque Danton Eeprom (déjà programmé) a acquis le statut techno qu’on lui connaît à Londres, que le trio électro-rock Nasser n’a pas attendu Marsatac pour se faire un nom bien au-delà des frontières de sa ville, et que Humantronic, figure quasi-historique de la scène techno locale, méritait bien un booking à la hauteur de son live depuis son exil à Berlin. Pour ces deux derniers, ce sera néanmoins une belle exposition.
PLX
Les tactiles
Leurs profils sont très différents : les deux jongleurs de séquenceurs de Tha Trickaz tiennent leur place sur scène du tremplin SFR auquel ils ont participé (c’est dire s’ils sont jeunes et frais…), tandis que le Californien Daedalus, de l’écurie Ninjatune, est le plus fameux utilisateur du Monome, boîte à séquences aux nombreuses rangées de boutons blancs clignotants, qu’il tourne vers le public lors de ses concerts. Virtuoses capables d’utiliser des outils de composition de musique électronique directement sur scène, ils assureront le spectacle. Car le monde est à leurs doigts…
Jonathan Suissa
Les futures stars
Chacun dans leur domaine, ces artistes encore émergents portent en eux les espoirs de leurs scènes respectives. Disco et précieuse, la musique d’Aeroplane essaime des paillettes sur les planchers de danse aux quatre coins du monde, là même où le Français Djedjotronic et l’Italien Mowgli déclenchent des émeutes (pacifiques) sous les boules à facettes. Plus musclée pour l’un et plus bondissante pour l’autre, leurs visions de la musique techno n’ont qu’un point commun, celui d’être tournées vers le futur.
Jérémie Morjane