Marseille Amor de Emmanuel Loi

Marseille Amor de Emmanuel Loi

A la ville, à la mort

Dans son dernier roman Marseille Amor, Emmanuel Loi donne à voir la cité phocéenne comme jamais. La richesse du propos, ancré dans le réel, en fait un précieux recueil d’histoire contemporaine.

 

Emmanuel Loi a quitté les conifères de ses Vosges natales pour d’autres résineux, les pins du Sud de la France. Il suit des études de sociologie à Aix-en-Provence, avant de plonger dans le grand bouillon de culture marseillais.
Dans Marseille Amor, il entraîne le lecteur dans une déambulation évanescente qui semble doublement biographique, celle de la cité et la sienne. Le prétexte au roman part d’une mission interministérielle au sujet du programme EuroMéditerranee, si discutable. Ce qui amène l’écrivain à user les trottoirs aux revêtements défoncés, à pousser les portes des PMU ou des centres sociaux, afin de récolter des impressions, des instantanés de la ville. Loin des clichés véhiculés et relayés par les médias, la ville mise à nue ne plaît pas à ceux qui ont commandé l’enquête, donnant lieu à de savoureux échanges entre le héros et ses interlocuteurs souvent déconnectés de la réalité.
Les figures rencontrées sont comme autant de rescapés de l’ordinaire, et font battre le cœur de cette ville qui ne vit que pour elle-même, captive de ce territoire pris aux pieds des massifs aux noms chantants. Les mots écorchent le réel, l’écriture semi-automatique suit le dédale de l’esprit, dans une superposition récurrente des époques historiques.  L’auteur ne prétend pas donner ici une image complète ou finie de cette ville qui ne se laisse pas apprivoiser : « Au bout de vingt ans, je reste un étranger à cette ville. » Sans méthode déterminée, il tente d’en saisir quelques clefs de compréhension.
On pourrait y voir un anti-manuel à destination de ceux qui arrivent, tant le propos est juste, l’analyse fine, sans fard. Comme une houle, son écriture aux effluves houellebecquiennes sert son travail d’ethnologue, d’écrivain de l’histoire actuelle mouvante. On pense aux articles d’Albert Londres (compilés dans Marseille, porte du Sud), qui évoquaient déjà les promesses échouées d’une ville proche du lointain. Emmanuel Loi peint une cité sur le rebord de l’orage, dans la torpeur du Sud. Le texte est mâtiné d’histoire personnelle, traversé par des images de femmes croisées. Ces dernières semblent contenir en elles des fragments de la ville, permettant un rapport charnel à « l’urbain comme lieu matriciel ». Marseille est une belle maîtresse dont on ne se lasse pas, tant elle construit son histoire sur des vestiges récents.
Laissons à l’auteur le soin de conclure : « Marseille ne se limite pas à la ville, ne correspond pas à l’espace géographique. L’opposition entre la ville et le territoire fait que Marseille n’est pas provençale, elle est bigarrée et biseautée par le tourisme. Adossée à des collines plutôt dures, elle reçoit du monde des musiques blessées ; elle n’accueille pas mais encaisse. Il n’y a pas d’autochtonie qui soit authentique, ceux qui l’adulent ou la dézinguent font Marseille. »

Bérengère Chauffeté

 

Emmanuel Loi – Marseille Amor (Le Seuil, Collection Fiction & Cie), 248 pages, 19,50 €