Marseille capitale européenne de la culture ?
L’interview – Bernard Latarjet
La candidature de Marseille au titre de Capitale européenne de la Culture rassemble et fédère la région. Oubliant pour un temps les querelles de clochers et les préparatifs de campagne, tous les élus soutiennent le projet avec un bel ensemble. L’enjeu est collectif : au local comme à l’international, il s’agit d’adouber Marseille Capitale de la Méditerranée. Et de profiter au passage des retombées en euros et en prestige. Démonstration avec Bernard Latarjet, le directeur général du projet de candidature.
Quels sont les objectifs d’un tel projet ?
La dimension internationale, l’implication du plus grand nombre de citoyens et l’inscription du projet dans la durée sont des objectifs imposés par l’Europe. L’effort artistique et culturel devant se conjuguer avec une vision globale du développement du territoire concerné. Pour Marseille, un but prioritaire de cette candidature est de positionner la ville comme une vraie plateforme de la coopération culturelle euro-méditerranéenne.
Comment les Marseillais seront-ils associés au projet ?
Tous les habitants peuvent participer au travers des réseaux, des institutions et des organisations qui existent, en développant avec eux des projets dont ils sont acteurs. Concrètement, ce sont les élèves dans les établissements scolaires, les habitants dans tous les types d’associations, les publics dans les établissements culturels. Il faut donc fédérer et apporter des moyens aux projets proposés, sur les thèmes de la candidature.
Quelle leçon peut-on tirer de Lille qui a été Capitale en 2004 ?
Nous avons tiré les leçons de toutes les capitales anciennes ou en cours dont on connaît les projets. Les exigences ont aussi évolué. Les projets internationaux doivent maintenant constituer un vrai travail de coproduction, organisé sur plusieurs années en combinant les projets et les budgets. Au niveau financier et économique, les études qui ont été faites démontrent que le rapport entre l’euro investi et les euros générés est de six pour un. Et en terme de renommée et de rayonnement international, on gagne dix ans. Lille traînait une réputation de difficulté industrielle et de chômage. Après 2004, son image s’est modifiée, elle est devenue moderne, attractive et internationale.
Y a-t-il de grands travaux prévus à Marseille dans ce but ?
C’est une caractéristique et un atout fort de la candidature de ce territoire. De grands chantiers sont déjà engagés partout. Pour Marseille, on peut évoquer le J4, les nouveaux îlots à rénover à la Friche la Belle de Mai, ou la Cité des Arts de la Rue dont la première pierre sera posée dans quinze jours.
Peut-on distinguer des lieux privilégiés ?
Toutes les villes du territoire, dans les Bouches-du-Rhône et autour de Toulon, sont associées. On peut citer quelques lieux forts à Marseille, comme le J1 et le J4 à la Joliette, le Silo et la Friche. Ailleurs, il y a les Ateliers de la SNCF à Arles ou le Forum des Arts à Aix. Mais beaucoup de manifestations sont prévues en plein air, jouant sur le climat de la région. De plus, des projets itinérants vont circuler afin d’irriguer tout le territoire de la candidature pendant l’année 2013.
Comment s’articule l’accessibilité aux manifestations pour les habitants ?
La question de l’accès au plus grand nombre est une préoccupation majeure. Beaucoup de spectacles et de manifestations seront gratuits, mais nous avons aussi des propositions intéressantes en termes de billets couplés. Par exemple, en associant sur un billet un match de foot avec un concert, ou bien une pièce de théâtre. Nous avons à cœur d’attirer les publics vers des œuvres et des manifestations avec lesquelles ils ne sont pas familiers.
La candidature de Marseille s’inscrit-elle dans un enjeu électoral ?
(Sourire) La candidature ne peut pas constituer un enjeu de campagne puisque nous avons d’ores et déjà rassemblé tous les élus autour du projet. L’ensemble des responsables politiques de ce territoire soutient la candidature. Tous les élus, y compris ceux qui s’affronteront lors des élections de mars 2008, sont membres du conseil d’administration de l’association de la candidature.
Comment est composé le jury de la candidature ?
Il rassemble sept experts européens et six experts français. Tous sont des professionnels de la culture, il n’y a aucun responsable politique dans ce jury.
Marseille a t-elle des chances sérieuses de l’emporter ?
Très sérieuses ! Mais les autres villes françaises en compétition ont aussi des atouts et des propositions alléchantes. Le jeu est ouvert.
Propos recueillis par Bénédicte Jouve
Photo : EPPGHV
Rens. www.marseille-provence2013.fr
KEZACOLe statut « Capitale européenne de la Culture »
Lancée en 1985 sous l’impulsion de la ministre grecque de la Culture Mélina Mercouri, la Ville européenne de la Culture est un programme destiné à mettre en valeur un patrimoine culturel commun et contribuer au dialogue entre les citoyens européens et leurs cultures. La manifestation, désormais dénommée Capitale européenne de la culture, attire chaque année toujours plus de visiteurs aux quatre coins de l’Europe. Au-delà du prestige et de l’impact culturel, on comprend donc bien l’intérêt touristique — et économique — d’une telle opération. D’autant que l’Union européenne peut apporter une contribution financière aux villes désignées (deux par an depuis 2005) par le biais de son programme-cadre « Culture 2000 ». Si la sélection est draconienne, la compétition entre postulants s’avère donc très rude — pas forcément entre les pays puisque la chronologie est déjà établie jusqu’en 2019, mais plutôt entre les villes. Ainsi, pour 2013, pas moins de sept villes (Lyon, Bordeaux, Nice, Toulouse, Saint-Etienne, Strasbourg et Marseille) sont en lice. Comme pour la procédure pour accueillir les Jeux Olympiques, ces dernières déposent un dossier de candidature. Elles doivent y préciser, entre autres éléments, les moyens pour mettre en valeur leur patrimoine historique, pour assurer l’accessibilité et mettre en œuvre la participation de la population. En 2009, le successeur de Paris (1989), Avignon (2000) et Lille (2004) sera désigné par le Conseil sur recommandation de la Commission, laquelle tient compte de l’avis du Parlement européen et d’un jury composé de sept hautes personnalités du secteur culturel.
CC
Treize ambitieux
On vous en parlait il y a quelques mois : certains artistes marseillais n’ont pas attendu les institutions pour « inventer » une candidature — alternative critique mais positive au projet officiel.
Avec un credo que ne renieraient pas les instances européennes en charge de l’opération (en gros, s’approprier une manifestation censée appartenir à tous), le collectif Marseille 2013 entend donner la parole aux artistes qui œuvrent dans l’ombre et créer un évènement populaire au sens noble du terme. «Ce genre d’opération profite avant tout au tourisme et à l’immobilier… Nous voulons soulever cette injustice, associer intimement les artistes à une manifestation de grande ampleur et faire en sorte que les gens soient des acteurs plutôt que des spectateurs de l’évènement. » Créé fin 2004 par trois artistes marseillais, le collectif à géométrie variable — trois au départ, trente actuellement et « bientôt treize milles » — s’appuie principalement sur son site Internet pour fédérer les énergies et accumuler les projets (y compris les plus irréalisables). A terme, cette jolie vitrine de l’actualité des auteurs devrait se muer en une vraie plateforme interactive, un outil précieux pour les artistes impliqués dans le projet. Toujours en marge de la candidature officielle, le collectif ne désespère pas être considéré par la municipalité comme un partenaire sérieux, une force de proposition à même d’organiser une version off de la manifestation. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : quelque chose se fera en 2013, le collectif ambitionnant de donner à Marseille la stature de capitale culturelle européenne, estampille officielle ou pas.
CC