Marseille. Fragments d’une ville de Sylvain Maestraggi
La ville, loin des clichés
Depuis des années, Sylvain Maestraggi arpente les chemins sinueux urbains et paysagers de la cité phocéenne. Il en a tiré Marseille. Fragments d’une ville, un livre sans effets de style alourdissants ni noirceur superfétatoire, où apparaît la ville réelle telle qu’il l’a lui-même vue et ressentie.
Une déambulation photographique sans guide ni jalons, comme pour nous immerger dans la peau d’un promeneur. Telle pourrait être l’invitation implicite à laquelle semble convier le livre de Sylvain Maestraggi.
Imprimé notamment grâce à un appel de fonds réussi via la plateforme KissKissBankBank, cet ouvrage est en quelque sorte un condensé du millier de clichés de la cité portuaire dont dispose à ce jour le photographe. Il a eu la présence d’esprit d’aller piocher dans cette masse iconographique issue des multiples parcours effectués au fil du temps à travers les reliefs dont Marseille recèle comme peut-être aucune autre grande ville française. Au fil des pages couvrant la période 1996-2012, on trouve un regard attaché à capter la spontanéité visuelle recelée par les espaces urbains délaissés, les paysages souvent chaotiques et les habitants d’une ville diverse.
« J’ai monté ce livre comme on travaillerait sur un film dans lequel les images résonnent les unes avec les autres. Il s’agit d’une récit visuel par lequel on apprendrait à se perdre à travers des scènes que l’on ne s’attendrait pas à voir », explique l’artiste. D’où l’absence délibérée et assumée de contenus écrits qui procureraient des éléments de contexte, mis à part une courte citation de l’écrivain et philosophe allemand Walter Benjamin. Pas de légendes non plus, si ce n’est un petit paragraphe à la fin de l’ouvrage, énumérant quarante-et-un endroits de Marseille dont le prononcé sonore lui apparaît « évocateur, contrairement à certains intitulés atroces de lieux que l’on peut trouver par exemple en Île-de-France. »
Il nous fait ainsi percevoir la ville telle qu’il l’a vue et ressentie. Non pas magnifiée pour les brochures touristiques destinées aux croisiéristes, mais une cité avec « un côté déglingué, à la fois en ruine et en construction permanente. » Cadran de porte ou de paroi intérieure posé sur un rivage rocheux comme sorti de nulle part, immense pont autoroutier rendant ridicules les immeubles d’habitations qui le côtoient, non-sens total du quartier de la Major et du J4 bien avant les restructurations pour accueillir le MuCEM…
Sans effets de style alourdissants ni noirceur superfétatoire, le recueil plutôt humble de Sylvain Maestraggi nous livre une cité phocéenne maintes fois restructurée et pourtant constamment déstructurée, où tout serait presque possible sans jamais l’être pleinement.
Valentin Lagares