Massaker – Documentaire (Allemagne/France/Liban/ Suisse – 1h39) de Monika Borgmann, Lokman Slim & Hermann Theissen
La guerre du Liban a occupé le devant de l’actualité pendant de nombreuses années. Au cœur de ce désastre, un conflit néocolonialiste typique : occupé par la France chrétienne, le Liban est devenu ensuite une enclave en terre musulmane, (lire la suite)
Liban le barbare
La guerre du Liban a occupé le devant de l’actualité pendant de nombreuses années. Au cœur de ce désastre, un conflit néocolonialiste typique : occupé par la France chrétienne, le Liban est devenu ensuite une enclave en terre musulmane, soutenue et organisée par les états occidentaux et Israël. Pendant cinquante ans, les coups d’états et les déstabilisations se sont succédé pour que la minorité maronite reste maître de la situation. Un peu comme si, pour des raisons économiques, on multipliait les exactions en tout genre pour qu’un gouvernement militaire soutenu par Paris reste au pouvoir du département d’Alger. Dans ce contexte conflictuel, le paroxysme intervient en 1982 alors que depuis quinze ans, la situation est extrêmement tendue entre les réfugiés palestiniens et les milices chrétiennes (Forces libanaises). Afin que le pays ne file aux mains des Arabes, les Etats-Unis organisent la prise du pouvoir par Bachir Guemayel, chef militaire. Deux jours plus tard, celui-ci est assassiné. En état de choc, entre abattement et désir de vengeance, les milices se dirigent vers les camps de Sabra et Chatila pour anéantir toute existence palestinienne. Le bilan fait état de milliers de morts. Quinze ans plus tard, Monika Borgmann, Lokman Slim et Hermann Theissen ont cherché des miliciens ayant participé à cette boucherie §§Le film rapporte d’ailleurs le cas d’un boucher qui préférait égorger que tirer : plus à l’aise.§§ dans l’objectif de les faire témoigner. Prenant le parti de ne pas orienter ces conversations, ils les filment retraçant leurs souvenirs, sans intervenir et en respectant leur anonymat. L’intention expérimentale annoncée est de saisir ce qui peut habiter un homme alors qu’il se transforme en véritable barbare : vivre « l’humanité » de ces 48 heures et descendre au cœur de la monstruosité. Paradoxalement, comme il est monté chronologiquement, c’est l’« extérieur » que le document montre le mieux : l’influence virile des pères, l’organisation de l’événement par Israël et l’enchaînement des évènements. Mais vite, on attend de ce dispositif neutre — enchaînement d’exactions à la première personne du singulier — qu’il révèle les souterrains annoncés : la construction et les conséquences psychologiques d’un homicide, le fonctionnement du désir de vengeance. Cette vie des nerfs qui habite obligatoirement nos protagonistes n’est pourtant qu’effleurée par le film, neutralisée par un récit qui s’en tient aux faits. En entendant cette collection de « il a égorgé comme ci, j’ai violé comme ça » montés au rendement, on doute rapidement que l’indifférence soit l’unique trait de caractère de ces hommes, vingt ans après. Comme si l’interview avec ces miliciens avait été trop courte pour qu’ils commencent à révéler ce qu’ils ont enfoui au cœur d’un tabou national, ou que le montage avait trop forcé dans une seule direction. On ne peut s’empêcher de penser au résultat occasionné si les réalisateurs avaient laissé tourner la caméra, en privilégiant les silences, les hésitations, les interrogations… : l’humain. Au final, leur obsession du soldat stoïque nous plonge dans le même état (stoïque) face au drame. Mais cela n’atténue que faiblement la réussite de ces cent minutes d’entretiens tendus qui nous plongent dans l’horrible réalité, soudainement palpable, du Moyen-Orient. Cette expérience est unique.
Emmanuel Germond