« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Camus en 1944. Cinq ans plus tard, George Orwell inventait la « novlangue » dans son roman 1984, pour définir la simplification lexicale et syntaxique destinée à manipuler le peuple d’Océania par les médias de masse et empêcher ainsi toute contestation du pouvoir.
Ce n’est pas un hasard si ce terme de « novlangue » (ou « néoparler » pour reprendre la formule de la traductrice Josée Kamoun) refleurit depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État — et avec lui toute la « macronie » — piétine le langage depuis son arrivée au pouvoir, oscillant entre anglicismes managériaux (la fameuse start-up nation fondée sur le concept de disruption…), expressions tombées en désuétude (poudre de perlimpinpin, carabistouilles…) et abus d’euphémismes — pour n’en citer qu’un, mentionnons la formule de Christophe Castaner pour désigner un Gilet jaune éborgné par un tir de LBD : « blessé à la vision ».
Et l’entreprise de démolition du langage par le pouvoir ne s’arrête pas là. « Le langage politique est destiné à rendre vraisemblable les mensonges », disait encore George Orwell. Ainsi, on ne compte plus les formules employées par les membres du gouvernement pour vider les mots de leur substance et aboutir à des mensonges éhontés : on ferme des lits d’hôpital « pour améliorer la qualité des soins » (Agnès Buzin), on casse le code du travail « pour protéger les salariés » (Muriel Pénicaud), on augmente les frais d’inscription des étudiants étrangers « pour mieux les accueillir » (Frédérique Vidal)… Quant au Président lui-même, il est en train de se composer un nouveau petit dictionnaire personnel. Ainsi a-t-on récemment appris de sa bouche que (le régime de retraite) « Universel ne veut pas dire que c’est le même pour tout le monde ». Le monsieur, qui « n’adore pas le mot pénibilité parce que ça donne l’impression que le travail est pénible » (sic), a même refusé que l’on parle « de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. » Et si ces mots lui sont inacceptables, c’est parce qu’ils décrivent une réalité — des actes — qui ne lui plaît pas. Ça tombe bien, la langue française possède une expression pour cela : le déni de réalité.
Cynthia Cucchi