Méditations westernosophiques de Marc Rosmini
Le grand mirage
Professeur agrégé de philosophie, Marc Rosmini nous offre, après Road Movies, une nouvelle plongée cinématographique passionnante éclairée par la philosophie, dans son dernier livre Méditations westernosophiques, consacré à ce genre mythique, le western.
Si les liens entre philosophie et cinéma n’ont pas été de prime abord noués (il fut difficile de définir à son origine le champ commun entre un jeune art du mouvement d’un côté, initialement phénomène de foire, et la connaissance conceptuelle ancestrale de l’autre, comme se plait à le rappeler Juliette Cerf dans son ouvrage Cinéma et philosophie), ces croisements se développèrent dès les années 50, identifiés par la célèbre saillie de Jean-Luc Godard : « Je pense, donc le cinéma existe. » Pourtant, on le sait, l’allégorie de la caverne de Platon portait bien évidemment en gestation l’essence même du cinéma. Bien plus tard, les philosophes conviés à offrir un éclairage autre à l’image en mouvement furent légion, de Walter Benjamin à Gilles Deleuze, en passant par Alain Badiou ou Slavoj Zizek qui, avec The Pervert’s Guide to Cinéma, nous gratifia durant deux heures trente d’une jouissive réflexion sur cet art de la représentation. A ces travaux est venu s’ajouter le dernier opus de Marc Rosmini, philosophe phocéen, consacré aux mécanismes du western. Le geste est suffisamment rare pour être salué : hormis l’excellent travail accompli par Rouge Profond, les publications cinématographiques dans cette région sont peu fréquentes, a fortiori dans le champ philosophique, et méritent toute notre attention, surtout lorsqu’elles se révèlent de la trempe des Méditations westernosophiques. Marc Rosmini n’a eu de cesse ces dernières années de bâtir des ponts entre la philosophie, le cinéma et la réflexion collective et citoyenne, en l’occurrence par le biais de nombreux ciné-philo (en grande partie à l’Alhambra) ou autres bistrots philo dans les lieux de vie. Il fut déjà l’auteur du très remarqué Road Movies, qui marqua son attachement au cinéma de genre. Dans Méditations westernosophiques, le philosophe démarre d’un postulat déjà fort intelligent : s’attarder sur ce genre — le western — à travers une poignée de films sortis ces vingt-cinq dernières années (et non sur son âge d’or), à l’heure où tous les codes y sont justement revisités, détournés, malaxés. Conviant par ce biais, entre autres, Jean Baudrillard, Hervé Bazin ou Erwin Panofsky à nourrir sa réflexion. Partant du sublime La Dernière Piste de Kelly Reichardt à Trois enterrements de Tommy Lee Jones, en passant par Impitoyable de Clint Eastwood ou Dead Man de Jim Jarmusch, Marc Rosmini s’interroge — nous interroge — sur les questions cruciales qui traversent le cinéma : notre rapport au réel et à l’illusion, au mensonge et à la vérité (« Le western participe à ce questionnement métaphysique portant à la fois sur les images de la réalité et sur la réalité des images »), la sémiologie de l’image et la compréhension des signes (« Parmi tous les éléments que nous percevons, qu’est-ce qui fait sens ? Qu’est-ce qui fait signe ? ») ou comment se place la caméra pour adopter le point de vue de l’autre (« Ce qui nous est montré ne relève plus de ce qui est vu (…) mais de ce qui se passe dans l’esprit de l’impétrant »). En deux cent pages passionnantes, Méditations westernosophiques nous invite alors à ouvrir notre champ des regards, et à prolonger l’image-mouvement qui nous fait participer, spectateurs, au temps du film.
Emmanuel Vigne
Dans les bacs : Méditations westernosophiques (Médiapop éditions)
Rens. : http://www.mediapop-editions.fr/portfolio/meditations-westernosophiques/