Mémoires partagées #1 : L’archive en question dans les films coloniaux et post-coloniaux français et algériens

Mémoires partagées #1 : L’archive en question dans les films coloniaux et post-coloniaux français et algériens

Les preuves du réel

Cinémémoire et Circuit Court, structures marseillaises d’archivage, de production, de réalisation et de diffusion, proposent un événement exceptionnel qui replace l’image d’archive amateur dans son contexte historique.

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Questionner la mémoire d’une histoire — d’hommes, de sociétés, de pays — à travers le prisme de l’image d’archive permet d’éclater le regard et de plonger ainsi dans un principe de réalité parfois complexe à démêler. Que reflète donc l’image, quelle en est l’optique, que déclenche-t-elle chez ceux qui l’ont conjointement vécue, que livre-t-elle à ceux qui n’y voient qu’un écran à l’histoire ? L’excellente structure marseillaise bicéphale constituée par Cinémémoire d’un côté et Court-Circuit de l’autre livre sa part de réponse en proposant au spectateur de travailler durant dix jours la mémoire partagée, par l’archive. Et pas n’importe quelle mémoire : celle d’une histoire encore douloureuse — on l’a récemment constaté avec la sortie du dernier film de Rachid Bouchareb —, l’Algérie coloniale. Face aux non-dits, ou plutôt mal-dits, qui ternissent encore aujourd’hui les relations franco-algériennes, l’événement proposé par Cinémémoire fait office d’un passionnant défrichage. Claude Bossion et son équipe se sont depuis de nombreuses années spécialisés dans la collecte, la conservation et la restauration de films amateurs tournés dans certains pays du bassin méditerranéen, jusqu’aux contrées subsahariennes. Fort de ce formidable patrimoine, il était naturel de se pencher sur l’existence de cette mémoire partagée, à travers projections, tables rondes, conférences et résidences, en partenariat, pour cette première édition, avec la Cinémathèque algérienne. Comme le souligne Claude Bossion : « L’intérêt était de réunir de nombreux intervenants autour de cette mémoire partagée, afin de s’interroger sur cette histoire commune, sans les rancœurs et les passions qu’on retrouve habituellement dans ce genre de débat. Se poser aussi la question, ensemble, du rôle de la conservation. Que fait-on de toutes ces archives ? Les films retrouvés ont été essentiellement réalisés par des amateurs colons, peu d’Algériens avaient matériellement les moyens de tourner leurs souvenirs en super 8. A partir de ces images, il faut accepter le regard de l’autre, et offrir sa propre vision de l’histoire. » C’est dans ce cadre que Circuit Court a accueilli en résidence le réalisateur Ahmed Zir, qui propose pour la soirée d’ouverture Images, Passion, Histoire, montage d’images portant un regard éclairé sur l’histoire de la présence française. L’association marseillaise a également offert une carte blanche à la Cinémathèque Algérienne, invitée à dévoiler une dizaine de films issus de leur fond. De nombreuses projections seront présentées accompagnées des réalisateurs, à l’instar du sublime D’ailleurs, Derrida de Safaa Fathy. Hormis les tables rondes, qui reprendront donc la place du film d’archives dans l’évocation historique, ainsi que l’enjeu de leur conservation, soulignons la présence de Sébastien Denis et Jean-Pierre Bertin-Maghit, grands spécialistes du cinéma de propagande avant les indépendances, invités à développer leur travail en public. Gageons que l’angle d’approche de cet événement exceptionnel offrira un regard profond et apaisé sur l’un des pans les plus tragiques de notre histoire contemporaine.

Emmanuel Vigne

Mémoires partagées #1 : L’archive en question dans les films coloniaux et post-coloniaux français et algériens : du 20 au 31/10 dans divers lieux de Marseille. Rens. www.cinememoire.net