Millefeuille | Marseille en résistances de Michel Samson et Michel Peraldi
L’entretien
Michel Samson
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… Entretien avec Michel Samson autour du dernier ouvrage qu’il a co-écrit avec Michel Peraldi, Marseille en résistances.
Marseille en résistances, qui décrypte le changement de visage de la politique marseillaise face aux transformations sociétales locales de ces dernières années, démarre avec un rappel critique de la tragédie du 5 novembre 2018. Ce jour-là, deux immeubles de la rue d’Aubagne s’effondraient, causant la mort de huit personnes.
S’entretenir avec l’un des deux co-auteurs, le journaliste Michel Samson, ancien correspondant du Monde, dans un café en bas de la rue d’Aubagne, prend alors tout son sens.
Lunettes rondes bien vissées, le regard malicieux tantôt dirigé vers l’extérieur pour questionner sa mémoire ou s’inspirer de la rue, tantôt accroché aux yeux de son interlocuteur, Michel Samson a le verbe facile. Il ne lui faut pas longtemps pour citer un nombre incalculable de personnalités locales rencontrées, rappeler quelques moments clés de l’histoire politique marseillaise, ou conter quelques anecdotes personnelles.
Comment vous est venue l’idée d’un tel livre, près de quinze ans après Gouverner Marseille, également co-écrit avec Michel Peraldi ?
Peraldi et moi, on est des curieux. En mars 2017, on s’est demandé ce qui avait changé dans cette ville, et donc ce pays, sur le plan socio-politique. On voyait bien que des choses avaient bougé dans tous les principaux partis politiques. Nous avions envie de savoir pourquoi et si cette impression de changement était bien fondée.
Marseille est plus proche de la Seine-Saint-Denis que de Paris. On y trouve le plus grand écart de richesses de France, toutes les catégories socio-professionnelles y sont représentées, et une population aux revenus faibles occupe une grande partie du centre-ville. L’évolution du visage politique pouvait trouver ses racines dans ces particularités.
Nous avons alors décidé de nous entretenir longuement avec des personnalités politiques de bords différents, voire d’en suivre en réunions et en manifestations pendant plusieurs journées, un travail de terrain indispensable pour une telle enquête anthropologique.
Est alors arrivé le drame de la rue d’Aubagne en novembre 2018. Nous avons alors dû réorganiser, compléter notre ouvrage pour en tenir compte, mais cela n’a surtout fait que confirmer notre envie d’écrire.
Justement, une fois cette enquête terminée, en êtes-vous arrivés à la conclusion que la ville avait changé de ce point de vue ?
Je dirais que oui et non. D’ailleurs, j’aime bien le fait que dans notre livre, nous disons plusieurs fois « on croit que », « il nous semble ». Car rien n’est aussi simple que ce qu’il n’y paraît.
D’un côté, aucune femme ne comptait vraiment en politique il y a une quinzaine d’années à Marseille. Aujourd’hui, des figures sont bien connues, entre une Martine Vassal à droite ou une Samia Ghali à gauche. Un tiers des candidats déclarés aux élections municipales 2020 et la moitié des têtes de liste du Printemps Marseillais, de la liste Divers droite de Bruno Gilles et du Rassemblement National sont ainsi des femmes.
D’un autre côté, le Collectif du 5 novembre, en référence au drame de la rue d’Aubagne, a certes fait parler de lui avec ses manifestations si fournies et, surtout, avec la charte du mal logement qu’il a su imposer à la mairie. Mais je parlerais plus d’une renaissance, car d’autres collectifs étaient déjà présents sans avoir une telle force de frappe, tels un Centre-ville pour tous, ou encore le Collectif contre la loi asile et immigration. Les réseaux comptent, le bouche à oreille aussi, ainsi que les articles de presse, mais c’est bien l’action qui marque. Avant les trois manifestations organisées par le Collectif 5 novembre, il faut remonter à vingt-trois ans avec la mort tragique d’Ibrahim Ali, le 21 février 1995, pour retrouver une telle effervescence citoyenne.
En même temps, il n’est pas aisé d’aller au fond des choses avec les représentations locales des partis politiques et apprendre de vive voix ce qui a pu changer ou pas. En effet, même si notre travail de terrain a porté ses fruits, nous n’avons pas pu assister à certaines réunions stratégiques ; ce qui rendait le pont entre paroles et actions bien fragiles, et donnait une impression d’état gazeux pour plusieurs partis politiques avec un flou dans la hiérarchie des décisionnaires, dans l’incarnation des partis ou les valeurs véhiculées (qu’est-ce vraiment que le progressisme de La République en marche ?).
Par contre, notre décryptage des faits, souvent contradictoires, nous a montré que la question de l’émotion était majeure. Pour comprendre la vie sociale, il faut comprendre que c’est émouvant. L’émotion, qu’il s’agisse du rire, des pleurs ou de la colère, nous en dit beaucoup sur la ville et fait partie de la démarche scientifique de notre enquête.
Le titre de l’ouvrage et son sous-titre (Fin de règnes et luttes urbaines) utilisent sciemment le pluriel, entre des résistances et des luttes urbaines. Pourquoi cela ?
À Marseille, il existe des foyers de résistance, des collectifs variés. Le pluriel marque ici la différence plus que la quantité. Ces différences se retrouvent d’ailleurs entre et au sein des partis politiques, entre ceux qui restent sur leurs acquis et ceux qui agissent. Mais ce pluriel, avec ces multiples itinéraires et façons de faire, apporte aussi le flou, la confusion, comme je l’ai déjà évoqué.
Les luttes urbaines sont quant à elles clairement apparues avec le drame de la rue d’Aubagne dont le choc a été tel qu’il a su rassembler dans les manifestations des personnes de tous bords politiques, de toutes classes sociales et de toutes origines.
Le plan de votre ouvrage interpelle, partant de la rue d’Aubagne pour arriver aux municipales 2020, en passant par les nouvelles règles du paysage politique, la répartition des rôles entre affairistes et commerçants, l’irruption de personnalités féminines fortes, ou encore l’innovation du collectif. Vers où avez-vous cherché à amener le lecteur ?
Pour prendre une image, le film existe par le spectateur. C’est quand il est vu qu’il vit. Mais chacun peut le voir différemment. Pour certains, la rue d’Aubagne est un quartier d’habitants, et pour d’autres c’est un nœud de commerce. D’autant que la parole du politique est porteuse d’un message qui relève parfois de la légende plutôt que de la réalité. Elle raconte l’idée que l’on se fait de la ville plutôt que ce qu’elle est vraiment. Il y a ceux qui parlent de ville sans tradition industrielle et qui oublient l’économie portuaire séculaire, et ceux qui parlent de ville du tourisme sans pouvoir citer le nombre de touristes qui y passent mais savent bien ceux qui profitent de ses retombées économiques, leurs électeurs. Tout le monde joue un rôle, est acteur dans sa ville, dans tous les sens du terme.
Finalement, derrière notre étude, nous avons voulu montrer que rien n’est simple et qu’en tout cas, la réalité est plus compliquée que ce que l’on peut lire dans les journaux.
Vous écrivez à nouveau avec l’anthropologue Michel Peraldi. Comment se passe ce travail d’écriture entre deux personnes aux profils a priori bien différents ?
Comme nous sommes connus il y a bien longtemps, dans les années 70, avant même la définition institutionnelle de la politique de la ville, nous avons eu tout le temps de bien nous connaître. Il est vrai qu’un grand nombre d’années nous sépare mais nous sommes réunis par des pratiques communes d’enquête. Par ailleurs, je peux dire que j’ai lu et je lis encore un très grand nombre d’ouvrages et d’articles en sociologie, domaine qui m’intéresse particulièrement. Ceci me permet de mieux comprendre les approches de mon compère universitaire et même de lui conseiller des lectures. Notre travail s’apparente au jazz. Il y a un cadre à respecter dans lequel nous évoluons, mais nous avons à cœur d’improviser. Pour cela, chacun écrit un bout et nous confrontons ensuite nos écrits, à l’état d’ébauche, avant de nous retrouver chez l’un ou l’autre pendant plusieurs jours pour discuter et affiner. Selon moi, écrire à quatre mains, c’est aussi accepter les erreurs de l’autre parce que le premier est là où le second n’est pas.
Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, et quelle sera l’issue des municipales 2020, mais je sais une chose. J’en ai marre d’écrire sur la politique. Je vote, je m’engage à mon niveau mais la politique, c’est comme le football pour moi. Je l’adore mais je ne sais pas y jouer !
Propos recueillis par Guillaume Arias
Dans les bacs : Marseille en résistances de Michel Samson et Michel Peraldi (éditions de La Découverte)
Rencontres avec les auteurs :
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le 12/02 chez Aglaé et Sidonie (18 rue Beauvau, 1er), précédée par la projection du film Marseille, de père en fils, partie 2 : Coup de mistral de M. Samson et Jean-Louis Comolli.
Rens. : facebook.com/AetSMarseille/
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le 19/02 au Local des Solidaires (29 boulevard Longchamp, 1er).
Rens. : solidaires13.org/