Misanthropes © Matthieu Wassik

Misanthrope(s) par la Cie Vol Plané au TNM La Criée

L’Interview
Alexis Moati et Pierre Laneyrie (Cie Vol Plané)

Rencontre avec les fondateurs de la compagnie Vol Plané, acteurs et metteurs en scène de Misanthrope(s), leur troisième Molière, en répétition à dix jours de la première du spectacle à la Criée.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réactiver les pièces de Molière ?
Pierre Laneyrie : Au départ, il y a une commande, chose plutôt dépréciée, à laquelle nous avons voulu nous confronter par jeu. Pour Le Malade Imaginaire, on avait du budget pour quatre acteurs et rien d’autre. C’était un défi motivant, qui nous a ouvert des portes de travail qu’on n’attendait pas, une forme de jeu très direct, en tri-frontal au même niveau que le public par exemple. On a eu une forme de succès avec la pièce, qui a beaucoup tourné, et on a remis ça avec L’Avare, qui contient bien plus de violence, là où Le Malade était crépusculaire. La Criée nous a engagés dans la même démarche pour Misanthrope(s). On a gardé la même simplicité de traitement, avec une totale liberté d’action, comme le fait de coller tous les personnages dans la figure d’Alceste. Il y a une fragmentation de la pièce, on fait des choix très clairs comme de traiter surtout la relation Alceste/Célimène, avec aussi une commande d’écriture aux acteurs, auteurs d’un parcours personnel lié à cette question : « C’est quoi, jouer Alceste ? »

 

Vous travaillez également avec des jeunes que vous faites écrire, le Groupe des 15…
Alexis Moati : Oui, un travail sur le temps de l’adolescence, mais c’est différent car on part de thématiques et non d’un texte. C’est une méthode qui est en train de prendre beaucoup de place dans la compagnie, cette façon de pouvoir être auteur et acteur, d’injecter de l’autofiction, de se servir de l’intime pour petit à petit basculer dans des fictions ; et on s’en sert dans Misanthrope(s). Le travail avec le Groupe des 15 pour Et le Diable vint dans mon cœur fait écho à la création de Misanthrope(s), ce qu’ils font et écrivent rejaillit sur nous. J’y ai lu des choses qui me font dire qu’il faut en faire un spectacle.

 

Qu’est-ce que c’est la misanthropie et l’hypocrisie en 2016 et de quelle façon la jeunesse s’y confronte-t-elle ?
L. : Sortant de la création du Diable, la figure du misanthrope est apparue tout de suite, parce qu’on met Alceste dans une forme de révolte adolescente par rapport à la société, avec cette idée que si on se dit toute la vérité tout le temps, c’est intenable, c’est une forme de terrorisme. On pose cela de façon poétique à chaque acteur, en lui demandant quel est son rapport intime à cette question car c’est une question jumelle du théâtre, lieu du jeu, du mentir vrai.

 

Dans la pièce de Molière, les personnages sont tous égaux. Or, le destin d’un misanthrope, s’il y a d’autres classes sociales, peut devenir politique : au lieu de quitter le monde, il pourrait se mettre au service d’autres, d’une utopie. Est-ce une question que vous abordez ?

M. : C’est abordé dans un des textes : « Et si au lieu d’aller dans le désert, tu allais voir ceux qui meurent de faim ? ». Cette volonté de non hypocrisie n’est-elle pas un profond mépris de la nature humaine ? Il faut tout de même arriver à être avec les autres ; moi, j’ai fait du théâtre pour ça. Je relie cette quête de vérité à l’adolescence : les ados disent des choses que les parents ne veulent pas entendre, ils remuent la merde et sont insupportables. Dans les répétitions, j’en vois aussi la douleur, il y a des acteurs qui en sont porteurs dans la troupe et je trouve ça assez beau.

 

Sur la langue, les vers, quelles options avez-vous prises ?
L. : On assume l’artificiel de la langue, on évite la naturalisation, on cherche à la rendre directe, concrète et il y a le choc, le collage avec nos textes, qui est ludique : ça parle et tout à coup, ça chante.

M. : Tu as raison quand tu parles de réactiver car la volonté, c’est de décharner l’objet pour que ça palpite en dehors de toute esthétisation.

 

Y a-t-il une actualité du Misanthrope dans notre société ?
L. et A. M. : Ce n’est pas ce qu’on a cherché, on a travaillé sur l’intime des gens qui sont sur le plateau, pour essayer de toucher à l’universel. Mais on est perméable aux flux d’informations ; des choses adviennent sur le plateau de façon assez chaotique et cela finit par ressembler à l’état du monde. On préfère que quelque chose arrive plutôt que de le chercher, c’est le même processus que pour le jeu d’acteur. Laisser la place, c’est important. Le monde mute si vite que l’on a du mal à en saisir une image, à se faire une opinion, à prendre parti. On est dans des histoires parallèles tout en vivant sur la même planète. Il y a une atomisation de l’état du monde. Avec les jeunes, notamment les ados, on l’impression d’une grande diversité d’univers ; changer d’espace, c’est comme changer de planète.

 

C’est aussi une affaire de perception… Il y a tant de façons de percevoir les choses à notre époque, de distinguer ce qui relève du réel ou de l’imaginaire…
L. et A. M. : On ne peut pas faire du théâtre sans éluder la question de à qui on va parler. On fait un spectacle pour des gens qui vont au théâtre et ceux-là, comme ceux qui le font, sont une nouvelle bourgeoisie. On joue à la Criée et cela nous questionne sur notre parcours : qui on est, d’où on vient, qui va venir nous voir, quel milieu social ? On est un groupe de bobos qui montons Le Misanthrope et s’il y a une vision politique dans notre travail, elle se situe plutôt dans une tentative de lucidité : à qui on parle et comment on parle. Par exemple, pour la scène des portraits dans laquelle ils décrivent au vitriol des personnes en les assassinant verbalement, on a choisi d’y inclure toute la salle pour montrer justement cet entre-soi du théâtre. C’est une question avec laquelle on a envie de jouer.

Propos recueillis par Olivier Puech

 

Misanthrope(s) par la Cie Vol Plané : du 27/02 au 5/03 au TNM La Criée (30 quai de Rive Neuve, 7e).
Rens. : 04 96 17 80 00 / www.theatre-lacriee.com

Et le Diable vint dans mon cœur : les 8 et 9/03 au Théâtre d’Arles (34 Boulevard Georges Clemenceau, Arles).
Rens. : 04 90 52 51 51 / www.theatre-arles.com

Pour en (sa)voir plus : vol-plane.com