Moussu T, nouvel album Putan de cançons
Ciotadins du monde
Nouvel album et treize Putan de cançons pour Moussu T et ses Jovents : quelques coups de griffes, quelques colères et une majorité de sourires, en coin ou éclatants.
« L’universel, on l’atteint en restant chez soi » disait Marcel Pagnol. Et c’est de La Ciotat que tout part, au son du banjo, instrument des chroniqueurs itinérants de l’Amérique — et instrument des esclaves, aussi. Cette tradition folk est enrichie d’autres musiques (blues, reggae, musique brésilienne…), toutes musiques de révoltes, de chroniques populaires. Les Jovents en forment des instantanés de vie, dans son quotidien le plus simple. On écoute ce disque comme on feuillette un album, avec une sympathie certaine pour les personnages auxquels ils donnent vie. Mais avant d’en arriver là, on se prend la Putan de cançon, qui ouvre et donne son titre au disque. C’est un blues martelé, un lamento de colère contre la chanson du malheur, sans cesse renouvelée, sans cesse enrichie de rimes. Le son est volontairement rugueux, comme on prend le temps de se rembrunir quand on voit arriver l’inopportun. Mais c’est fait comme c’est dit dans Empêche moi, qui fait tranquillement la somme de toutes les prétentions coercitives du système et de la norme sociale, et revendique le droit d’être soi, un peu en marge d’une société moutonnante. Lo dintre est le récit d’une journée où l’aventurier a laissé ses envies d’ailleurs, un de ces jours où il a envie d’avoir la paix, pour voyager, tel Baudelaire, dans une chevelure. Et ainsi les titres défilent, distillant des humeurs, des climats différents, des ambiances changeantes : Mon ouragan, réponse amusante aux humeurs de Madame, Ciutat de l’ersa, collage aux couleurs psychés, Alba 7, étonnant voisinage d’une guitare anglaise et de percussions brésiliennes, Bons baisers de Marseille, carte postale pour un collègue qui est parti trimer dans la grisaille… Tous ces titres, ainsi que les suivants, sont servis par une production démontrant un savoir-faire à la fois très abouti et loin de toute routine. La marraine est justement l’une de ces briseuses de routine, elle baptise un navire ; c’est jour de repos et de fêtes, où les gens des chantiers voient « presque la vie en rose », puisqu’il leur permet de briser le rythme qu’impose L’horloge. Quand je la vois, je fonds, qui va faire des clins d’œil au Gainsbourg de Pauvre Lola et Couleur café, est une des quatre chansons courtes (moins de 2’50) et fraîches qui émaillent l’album, la quatrième étant Comme deux mouches, qui clôt le disque. Cette invitation à la tolérance, illustration du « chacun son goût », évoque les différents moyens fournis (rhum, whisky, pastis) par les distilleries pour être à la fois « souples et boulégants » et propose (en la déconseillant par la voix de l’ouragan) une recette pour s’approcher du paradis : alcool + grain de folie + gros câlins = paradis. A bien y réfléchir, c’est la recette que Moussu T et les Jovents appliquent avec bonheur pour concocter leurs disques ; remplacez simplement l’alcool par l’influence musicale correspondante (rhum/Caraïbes, whisky/blues, pastis/chansons), rajoutez-y leurs personnalités (grain de folie) et une dose d’amour (et d’humour) et vous obtiendrez des Putan de cançons qui font mouche.
Frédéric Marty