Mouv’Art, les Portes Ouvertes Consolat et les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes
Associations de bienfaiteurs
Les propos de Pascal Neveux (voir Ventilo #266) ne sont pas contredits par l’actualité artistique de début octobre : « Le meilleur atout [de Marseille] est indéniablement son tissu associatif et son implication alors que les moyens sont très précaires. » La preuve par trois avec Mouv’Art, les Portes Ouvertes Consolat et les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes, qui permettent des vitrines offertes aux yeux de tous et empêchent les artistes de crever en silence… Et que siffle aux oreilles de certains la formule de Malraux : « Les condamnés à mort sont contagieux » !
Mouv’Art, parmi d’autres asS.O.S…
La fondatrice de Mouv’Art, Emmanuelle Saint Denis, veut faire émerger une effervescence de l’art contemporain encore trop souterraine. Cette exposition à ciel ouvert, autour de la thématique « Rêver la ville », propose de convertir des containers en galeries. Mais cette troisième aventure reste entachée par le manque d’apports financiers générant de telles difficultés budgétaires qu’une vente aux enchères au profit de l’association prendra place à même le pavé. Cependant, même si ce sont encore les plasticiens qui font don de leur personne, on échappe au cauchemar de l’inaccessibilité des œuvres : les artistes ainsi que des médiateurs seront là pour créer des liens et engendrer de vraies lectures. Cette démarche de sensibilisation urbaine sans clivage trouve une résonance dans la participation des jeunes générations : des lycéens de La Cabucelle se sont pris au jeu et des enfants seront sollicités comme intervenants. Les coups de cœur sont nombreux et la programmation pertinente : la diva Adila Carles enchantera l’acoustique du Cours tandis que l’Artmada et l’ensemble Baroques-Graffiti séviront en duo. Magali Delrieu et ses fragiles sculptures, Agathe Rosa et sa bulle, Pierre-Gilles Chaussonnet et son univers de machines (voir ci-contre), LCDC et ses projections photographiques… viendront aussi enrichir votre quotidien de citoyens.
MNQ
Mouv’Art : du 6 au 10/10 sur le Cours Estienne d’Orves. Rens. www.mouvart.fr
… Et des idées plein les POC
Le ton de la manifestation annuelle des « Hauts Canebière » est donné : pour cette cinquième édition (qui voit naître un partenariat avec Mouv’Art), l’ambiance sera populaire et le partage de rigueur. Artisanat, arts plastiques, musique, danse et performances ponctueront joyeusement un long week-end festif, mobilisant une quarantaine de lieux et plus de cent artistes prêts à démontrer le dynamisme du quartier fédéré par l’équipe des Portes Ouvertes Consolat. Perrine Verstraeten, organisatrice du parcours aux multiples activités, tient à ce que « divers publics, autant connaisseurs qu’amateurs, prêtent attention et découvrent des initiatives différentes, originales et de qualité. » Au siège de l’association, la galerie Andiamo accueillera Didier Thiault. Ses pots de moutarde baladeurs aux épitaphes sibyllines mont(r)ent aux nez de tous : l’art de sentir l’art n’est pas mort, c’est notre lot de consolation ! Alfons Alt investira l’Entre-pots, Etienne Rey posera sa Cabane de réflexion dans le musée Grobet-Labadié pendant un mois. Samedi après-midi, la chasse au trésor sera lancée par A Vos Marches, le soir, sur scène et sur le Cours Joseph Thierry, un concert gratuit verra La Force Molle peindre en direct ; le repas de quartier du dimanche midi vous requinquera de toutes ces émotions. Suivez le plan/programme et les fanions en famille, en flânant à votre rythme, ou inscrivez-vous pour les visites guidées (au 04 91 95 80 88).
MNQ
Portes Ouvertes Consolat : du 8 au 10/10 dans les quartiers du haut de la Canebière. Rens. www.assopoc.org
Attelez-vous !
Que l’on soit critique ou sous le charme, le rapport que nous entretenons à l’art contemporain interpelle. Souvent frustrés de ne pouvoir demander à l’artiste comment il justifierait sa démarche, nous nous limitons à faire part de notre pensée aux personnes qui nous accompagnent. En effet, nous savons à quel point l’art, en tant que langage, nécessite une initiation. Or, qui mieux que les artistes et les structures d’exposition pourrait nous initier ? Ainsi, depuis douze ans, l’association Château de Servières propose via les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes d’entrer le temps d’un week-end dans les coulisses de la création. Plus de cent vingt artistes — jeunes ou confirmés — y participent en permettant un dialogue, une meilleure compréhension des enjeux et problématiques de l’art contemporain. A vous de concocter votre programme de visite à l’aide du livret couleur qui restitue très fidèlement le travail de chaque artiste et complète la déambulation par une présentation des différents lieux de diffusion de l’art contemporain à Marseille.
NB
Ouverture d’Ateliers d’Artistes : du 8 au 10/10.
Livret disponible dès le 1er octobre à l’Espace Culture (42 la Canebière, 1er) et à télécharger sur www.chateaudeservieres.org
La machine à retrouver le temps
Participant à Mouv’Art et aux Ouvertures d’Ateliers d’Artistes, Pierre-Gilles Chaussonnet est le plasticien du moment à scruter de près.
Entrer dans son atelier relève d’un étrange parcours qui laisse surpris par l’univers s’y découvrant. Au premier regard se déploie un espace ambigu, échappant à sa fonction première d’atelier de mécanique, ancien local des Postes déserté mais pas abandonné. Le visiteur a été prévenu : Pierre-Gilles Chaussonnet travaille dans le monumental, celui du rebus industriel, de la machine extraite de l’entrepôt ou de la décharge, imposant ses lois aux hommes qui les ont côtoyés. L’illusion du ready-made flotte un instant, l’objet machine ne l’est pas vraiment, même si un message de Duchamp revient en mémoire : « Face à face avec un monde fondé sur un matérialisme brutal où tout s’évalue en fonction du bien-être matériel (…) plus que jamais, l’artiste a une mission parareligieuse à remplir.(1)) »
Quels évènements, quelle histoire relatent ces objets technologiques ? Il faut s’approcher pour se confronter aux formes massives, incompréhensibles pour le profane, de ces machines industrielles soustraites à leurs contextes de production. Elles s’offrent à de nouvelles lectures à travers les tableaux ou saynètes que l’artiste y introduit, les images filmiques ou photographiques qu’il y insère, les objets fétiches qu’il y associe.
Sens perdu et temps retrouvé de la relation homme machine
On pourrait voir dans ces machines des sortes de cadres invraisemblables pour les petits théâtres de l’imaginaire que construit Pierre-Gilles Chaussonnet. Mais les machines impriment leur présence, leur froide et puissante force de réel, dans un face à face défiant le spectateur. S’emparer d’objets réels et les imposer sur la scène artistique, c’est ce qu’affirmaient les nouveaux réalistes. Relevant leurs propos, Pierre Restany évoque le renversement de vapeur historique, en faveur d’un « sens moderne de la nature industrielle, publicitaire et urbaine.(2)) » Dans la démarche de Pierre-Gilles Chaussonnet, le mouvement est double : prélever l’objet industriel (le laisser s’imposer) et en conjurer le fonctionnement et le sens par ses détournements. Réinvestir l’humain dans l’objet, ses désirs, ses fantasmes, ses mythologies, c’est « aller » contre son procès industriel, le paradigme économique qui le sous-tend. Il en va ainsi de la pièce Tolordi qui développe, sur l’écran recyclé d’une machine, l’image filmée dans la durée d’une femme (elle-même devant le long-métrage d’Hirschbiegel, La Chute), dont les imperceptibles mouvements invitent à retrouver le temps, du regard et de l’intention du geste comme de la suspension du corps.
Théâtres du regard
Dans ce processus perturbant le rapport de domination homme/machine, le regardeur est souvent contraint de trouver son mode d’emploi. L’objet a un ventre, une scène intérieure, un écran réceptacle de toutes les projections de l’artiste, une image en abyme. On y accède par les procédés les plus divers, œilletons, lentilles, loupes, scaphandre, vitrines, toute une mécanique de vision qui marque le changement d’échelle, de temporalité, d’univers : de la réalité brutale de la matière pliée à son moule industriel à la théâtralité de l’intime aux registres grinçants, absurdes, grotesques, poétiques ou érotiques. A la manière du théâtre vivant de Meiningen(3)) associant art et vie quotidienne, Pierre-Gilles Chaussonnet épingle, retouche même nos archétypes et leurs représentations. Il aimerait que « le public porte un autre regard sur les artistes qui ne sont pas des parasites mais construisent les sociétés. »
Erotisation du lourd et du petit
Les images volées du voyeur/spectateur réinventent des rituels qui traitent de la déperdition de l’expérience dans le simulacre. Les œuvres semblent répondre à une nouvelle économie du désir, où le spectateur participe à l’opération magique, à la mise à nu des formes de la représentation, à travers les formes d’un spectacle qui érotise les personnages et leurs machines-supports.
Dans ce combat masqué de l’oppression et de la séduction, du lourd (héritage industriel) et du petit (jeu des simulacres), se construit un art de la dépense cher aux situationnistes, où toutes les provocations visuelles entraînent le spectateur vers une présence active, qui tend à la libération de ses pulsions sinon de son jugement critique.
Christine Quentin-Maignien
Notes- Marcel Duchamp, « L’artiste doit-il aller à l’université ? », Duchamp du Signe (Flammarion[↩]
- Pierre Restany, 60/90 Trente ans de Nouveau Réalisme (éd. La Différence[↩]
- Forme de théâtre créée dans le duché de Meiningen, qui rapprochait représentation et réalité quotidienne. Voir Jean Duvignaud, Spectacle et société (Denoël[↩]