Vous n’aurez pas ma haine au Théâtre Liberté
À peine j’ouvre les yeux
Fenêtre ouverte sur l’humanité, le texte Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris s’apprête à être porté sur scène par Benjamin Guillard, dont simplicité et authenticité semblent être les mots d’ordre. La musique d’Antoine Salher, la virtuosité de Lucrèce Sassella et le charisme du comédien Raphaël Personnaz assureront avec force la connexion entre ce texte, la vie et le public.
Le metteur en scène et réalisateur Benjamin Guillard officie habituellement avec la bande des ex-Deschiens — Morel, Saladin, Broche —, ce qui le place dans l’humour réflexif. Pour sa nouvelle pièce, en première française au Liberté, scène nationale de Toulon, il a choisi de mettre en scène le livre Vous n’aurez pas ma haine du journaliste Antoine Leiris, dont la femme est l’une des victimes des attentats du 13 novembre 2015.
Un changement de registre pour Benjamin Guillard ? Pas vraiment, d’abord parce que Mitterrand et moi ou La Fin du monde est pour dimanche avaient la profondeur de l’interrogation sociétale et que Vous n’aurez pas ma haine est tout sauf un écrit politique ou un document sombre sur les attentats ; c’est un témoignage de vie s’inscrivant dans un traumatisme collectif. C’est d’ailleurs cet aspect-là qui a plu à Benjamin Guillard. Comment une histoire intime propulsée par un buzz sur les réseaux sociaux au lendemain des attentats a placé, à son corps défendant, un homme en porte-parole d’un événement historique marquant. Et comment sa vie est dès lors soumise à toutes les interprétations. En commençant par son premier post Facebook, parfois incompris, qui criait la colère et en aucun cas le pardon. Qui expliquait simplement le refus de s’occuper des assassins de son épouse car il avait choisi d’aller vers la vie, celle à poursuivre avec son fils de dix-sept mois. Le livre qui a suivi relate la peine, la rage, le deuil, mais surtout ce quotidien d’un père qui élève seul son très jeune enfant et également d’un homme face au maux à mots des écrivains, des écorchés vifs par la vie, des poètes… Pages libératrices ou isolantes, somme toute poignantes d’où se dégagent des phrases magnifiques dans lesquelles chacun peu accrocher ses peines et ses réflexions sur la vie, le couple, l’éducation, la générosité, le rapport aux autres et, surtout, l’absence. Toutes les absences, pas seulement celle de la disparue. Un propos universel qui, s’il met souvent à terre à coups d’émotions, élève vers la lumière en bannissant les notions culpabilisantes de courage pour ne privilégier que la foi en la vie.
De l’écrit au théâtre
« À la première lecture, je me suis forcement posé la question de la théâtralité. J’étais bouleversé par le texte, mais la littérature ne fait pas forcement du théâtre. Et c’est vraiment en entendant Raphaël Personnaz lors d’une première lecture que je me suis dit qu’il y avait une théâtralité dans ces mots-là. Un mec perdu essaie de comprendre ce qui lui arrive, ce qu’il ressent et ce qu’il peut exprimer. Ce n’est pas un texte figé, il y a une pensée qui avance avec des contradictions, qui se construit, qui prend plusieurs chemins… C’est ce qui en fait quelque chose de théâtral. »
Ce texte parle de résilience (espérons que Boris Cyrulnik viendra le voir en voisin) et de foi en l’humanité. En cela, il est proche de Réparer les vivants, sur lequel Benjamin Guillard a collaboré, et suit ce qui semble être le fil conducteur de son travail : « Ça parle de solidarité humaine comme dans Réparer les vivants… Tout à coup, une mécanique se met en place pour sauver une vie à partir d’une mort. Chez Leiris, il y a une dynamique d’espoir et de reconstruction. Le soutien des mamans de la crèche, les témoignages qu’il reçoit… Il y a des choses très belles et ce sont des thèmes qui me touchent énormément. C’est très dur et en même temps, il y a de l’espoir qui naît de tout ça. »
Le pouvoir des mots
Raphaël Personnaz se méfiait lui aussi de ce texte, possible piège du monologue mémoire ou récupérateur : « Au-delà des événements atroces qu’il relate, ce que nous apporte Antoine Leiris, c’est un éclairage. La lumière qui jalonne tout son texte a un sens artistique et non journalistique. Après, la difficulté était de ne surtout pas interpréter Antoine Leiris mais de transmettre, être un vecteur de ses mots. Il y a un travail pudique et délicat de Benjamin. »
La très belle composition musicale d’Antoine Sahler par le biais de la pianiste Lucrèce Sassella ponctue sans accompagner la justesse des mots, l’empêchant de tomber dans le pathos. Un garde-fou essentiel qui sert le texte en s’effaçant, doublé d’une présence féminine si l’on veut y voir l’absente.
Seul sur scène, avec ou sans la pianiste, Raphaël Personnaz sera en position d’adresse au public. Il jouera dans l’immédiateté du moment, en se basant sur la magie des mots qui, en se heurtant aux émotions, aux images qu’ils suscitent, donneront le ton de sa partition d’acteur.
Vous n’aurez pas ma haine se présente ainsi comme une étude des comportements humains par le prisme de la douleur. Raphaël Personnaz : « Antoine Leiris regarde la vérité en face et peut l’affronter car il a des mots, alors qu‘il serait censé ne pas pouvoir en avoir. Ce texte est nécessaire dans des temps de guerre et de conflits comme aujourd’hui car la guerre, c’est quand il n y a plus de mots, que l’on n’arrive plus à dialoguer, à communiquer. »
Vous n’aurez pas ma haine est un spectacle qui donne envie de se réunir, une sorte de catharsis qui éloignerait le malheur en privilégiant la liberté… Beau symbole qu’il soit créé dans le théâtre qui porte ce nom.
Marie Anezin
Vous n’aurez pas ma haine : du 8 au 11/11 au Théâtre Liberté (Place de la Liberté, Toulon).
Rens. : 04 98 07 01 01 / www.theatre-liberte.fr