Dans Primitifs, la divine Eva Doumbia radiographie Chester Himes — l’auteur et l’homme — et sonde l’homme noir aux conquêtes blanches, dans la société des années cinquante. Ou comment le racisme se glisse dans le lit des amants esseulés… (lire la suite)
Dans Primitifs, la divine Eva Doumbia radiographie Chester Himes — l’auteur et l’homme — et sonde l’homme noir aux conquêtes blanches, dans la société des années cinquante. Ou comment le racisme se glisse dans le lit des amants esseulés.
En prenant place sous les voûtes des Bernardines, on observe, intrigué, le ballet en mouvement de cet improbable mélange des genres. Placé de chaque côté de la scène, le public est au cœur même de l’action. Il devine déjà la luxure et l’ivresse qui émanent du décor : lit défait, lumière blafarde et sol jonché de bouteilles de whisky et de bourbon. Un homme noir est couché sur le grand lit central en sous-vêtements, un autre plus jeune est assis sur une chaise, silencieux. Eva Doumbia apporte quelques repères biographiques et historiques, et entre dans le jeu aussi vite qu’elle en sort. Le puzzle se construit et se défait au rythme de saynètes entre le truculent Fargass Assandé (Chester Himes) et l’émouvante Jocelyne Monier, qui enfile les perruques et les névroses des « blanches ». Du rire franc au malaise palpable, Primitifs montre du doigt le racisme qui se cache aussi bien derrière un sourire débonnaire que des cuisses entrouvertes. Pire que le sudiste assumé, la blanche de L.A. côtoie le nègre pour ce qu’il représente dans l’imaginaire américain de l’époque, et non ce qu’il est. Elle fuit son triste mari pour L’Oncle Tom au gros phallus. Celui qui sait aimer une femme, « comme ces singes qui regardent les dames avec un regard concupiscent au zoo de Brooklyn. »
Mais Chester Himes se sait aux antipodes de cet idéal réducteur et raciste, il est « le mâle américain noir, une poignée de psychoses enchevêtrées telles qu’il n’en a pas existé jusqu’ici. »
S’il est difficile, d’un point de vue scénique, de montrer des scènes d’amour physique comme le souligne ironiquement Fargass, la schizophrénie de Chester se matérialise en permanence sous les traits fins du danseur et comédien Massidi Adiatou, alter-ego primitif de l’écrivain. Ami et ennemi, il est le reflet dans le miroir déformant des blancs. Celui aussi qui demande à Himes de sacrifier « la femme blanche » pour enfin mettre un terme au problème noir.
Réflexion commune, sensibilité d’acteurs (noirs, blancs, métis), improvisation personnelle et mise en scène libre sont autant de formes par lesquelles la pièce, inspirée de l’œuvre de C. Himes La fin d’un primitif, encourage le questionnement permanent de notre rapport à l’autre et la remise en question de nos valeurs. Une façon efficace d’aborder les tenants et les aboutissants des rapports humains, dans leur violence et leur détresse.
Texte : Jennifer Luby
Photo : Lionel-Elian
Primitifs était présenté aux Bernardines du 29/11 au 2/12.