Noël Ravaud à l’Espace GT
Faim de siècle
Pour sa nouvelle exposition à l’Espace GT, Noël Ravaud propose une série prolifique de dessins, comme le rébus d’une époque, des images mises bout à bout qui nous livrent une autre encyclopédie du siècle…
L’état d’esprit de Noël Ravaud a quelque chose à voir avec celui de Finizio. Si leurs langages plastiques n’ont pas de ressemblance, la même quête anime les deux artistes, auteurs d’œuvres polysémiques, aux interprétations exponentielles, sans aucun compromis avec la mode, le design et la cosmétique.
Noël Ravaud n’a pas systématiquement recours à la récupération, mais un objet insolite trouvé au coin d’une rue peut évoquer chez lui Warhol, Beuys, Baudelaire ou Gombrowicz…
« J’ai commencé à lire Frankenstein après m’être lancé dans cette entreprise. Sans savoir où elle allait me mener. Avec une vague hypothèse de ravaudage généralisé, tout de même. » Noël Ravaud
Pendant 365 jours, j’ai l’âge de Mary Shelley à sa mort réunit un corpus de dessins exécutés entre novembre 2017 et aujourd’hui à l’ordinateur, avec l’outil crayon de Photoshop. Chaque dessin est un collage visuel et sémantique faisant référence à l’histoire de l’art, à la littérature, aux actualités, à la politique, à des statistiques, à la petite histoire, celle que Noël Ravaud aime convoquer, révéler, celle qui n’a pas été promue par la doxa. Noël Ravaud s’inquiète de l’état du monde, des inégalités, du genre humain, du genre féminin, de la cause animale, des luttes de classes et de la guerre des sexes, de ce que notre société produit de plus déshumanisé…
« Désolé de décevoir : l’ambiance du livre est blanche, glaciaire. » Noël Ravaud
L’œuvre de Noël Ravaud s’organise comme le flux d’internet, comme sur un mur Facebook où des informations se succèdent sans rapport, du tragique au comique, défilant au rythme du scroll. Noël Ravaud tente de donner des images d’un monde que personne n’a jamais vu, celui du numérique, du virtuel, de ce qui se trame au-delà de l’écran, offrant une alternative à la classification post-internet appréciée des critiques branchés.
Chaque dessin est daté et porte le titre Pendant 365 jours, j’ai l’âge de Mary Shelley à sa mort, comme un décompte du temps, un compte à rebours qui tance le rythme d’une production frénétique, peut-être automatique comme les surréalistes. Le dessin du 20 février 2018 évoque les conditions de travail du personnel d’Amazon, guidé par une oreillette toute la journée — le robot dirige désormais l’employé… Celui du 2 avril 2018 est un projet pour recoudre la banquise. Chaque image est un pamphlet que l’on ne saisit pas forcément du premier coup ; il faut donc y revenir et reprendre la lecture souvent, comme on relit un philosophe pour mieux cerner sa pensée. On sent bien que ce joue là, sous nos yeux, quelque chose d’essentiel pour l’art et pour le reste, quelque chose qui aurait à voir avec la vérité…
Céline Ghisleri
Noël Ravaud – Pendant 365 jours, j’ai l’âge de Mary Shelley à sa mort : jusqu’au 28/06 à l’Espace GT (72 rue de la Joliette, 2e).
Rens. : 06 52 40 24 91 / http://espacegt.free.fr