Notre pain quotidien – Documentaire (Autriche – 1h32) de Nikolaus Geyrhalter
Après l’enquête engagée — Le cauchemar de Darwin — et avant la bombe We feed the world, Notre pain quotidien nous rappelle combien le cinéma autrichien représente aujourd’hui une locomotive… (lire la suite)
Savez-vous planter les choux ? (à la mode de chez nous)
Après l’enquête engagée — Le cauchemar de Darwin — et avant la bombe We feed the world, Notre pain quotidien nous rappelle combien le cinéma autrichien représente aujourd’hui une locomotive mondiale pour le documentaire. Ici, pas de voix-off ou de démonstration, pas de cheminement ni d’inculpation : l’idée est de VOIR ce que l’on mange. Pour cela, Nikolaus Geyrhalter enchaîne les plans fixes et découvre lentement ce que l’on appelle l’agriculture moderne. Pas de scandale : tout est légal. Les normes sont respectées, la terre organisée et l’hygiène méticuleusement observée. Notre pain quotidien tient plus de la vidéo d’art contemporain ou du film contemplatif suédois que du documentaire naturaliste. Ce traitement esthétique, plus que tout autre témoignage, transmet une impression fascinante de science-fiction froide et belle que l’on découvrirait pour la première fois. Le futurisme d’une vie domptée, industrialisée et finalement inhumaine nous parvient quand on aperçoit l’ouvrier. Assez vite en effet, au-delà de la nourriture quotidienne, il s’agit de ce que l’on vit pour la produire et pour se la payer. L’homme en uniforme, clone vide intervenant encore dans le processus, apparaît au fil des images, mis au rythme des machines qui l’utilisent pour les tâches intermédiaires. Aux interstices de la logistique, nos frères robots se déconnectent et suivent les machines, guidés dans la structure géométrique de sillons infinis ou d’usines d’acier éclairées aux néons. Regard-scanner, mains automatiques à unique fonction, gestes réflexes pour trier, conduire, castrer, tuer ou nettoyer, avec un détachement qui nous interroge sur la notion d’être vivant. Avez-vous une idée de ce que l’on inflige à une vache avant qu’elle devienne du bœuf NF ? Cette Terre vue de Mars, telle un lourd engin agricole écrasant les réflexions habituelles (éco, bio…) et les conventions du documentaire, ne plaira pas aux attendris de la planète bleue espoir, qui risquent de très mal vivre ce viol distingué de leur Terre vue du ciel — je déconseille ce film à Lionel Vicari. Si l’on n’y apprend pas comment planter les choux, on retient cependant que c’est l’humain rampant et à genoux, traîné par une machine, qui les cueille. Et c’est beau (euh, sinon, pendant ce temps là, d’autres fêtent les vingt ans d’Amour, gloire et beauté : que le temps passe vite !)
Emmanuel Germond