Nous nous suivons de près à la Fondation Vacances Bleues
Expérience de la durée
L’exposition de rentrée de la Fondation Vacances Bleues réunit trois artistes — Caroline Duchatelet, Eric Bourret et Pascal Navarro — autour de la question du paysage. Si les images de lacs et de montagnes s’accordent, c’est pourtant le rapport au temps des trois artistes qui contamine le regardeur jusque dans son appréhension des œuvres. L’exposition se découvre dans la lenteur et le silence propices à une très belle expérience de la durée (1)…
Au premier étage, devant Jeudi 4 décembre, la vidéo de Caroline Duchatelet, le visiteur plonge en silence dans les mystères de cette image qui n’a rien à dire ni à montrer, aux changements lumineux imperceptibles et au silence éloquent. Les œuvres de Caroline Duchatelet nous invitent à la magie des changements d’atmosphère, des aurores et des crépuscules, des moments où le monde change et inscrit en nous les sensations de ce changement. Aucun discours, aucun spectacle, ni les mots, ni les images ne jurent. L’œuvre de Caroline Duchatelet nous demande de prendre le temps et de s’abstraire à notre environnement direct pour participer à l’expérience en temps réel que nous offre l’artiste. Le temps passé à contempler induit le regardeur à une sorte d’introspection personnelle, en écho puis en harmonie avec l’œuvre…
C’est dans cet état d’esprit que le visiteur de l’exposition Nous nous suivons de près reprend les escaliers et retrouve l’espace d’exposition où se côtoient les photographies d’Eric Bourret et les dessins de Pascal Navarro.
Photographies que l’on confond dans un premier temps avec du dessin, tant les marques noires semblent tracées au fusain dans un geste vigoureux… Mais c’est l’impression (et la surimpression) des images d’Eric Bourret qui donne à ses photos ce blanc laiteux des fonds et ce noir charbon des traits. Des images qui semblent pressées de disparaître, agitées par le mouvement de la marche que le photographe a entreprise dans les Alpes du Sud pour cette série. Eric Bourret est photographe-marcheur. Ses clichés sont tous issus des excursions qui lui font parcourir le monde et pendant lesquelles l’artiste ne baisse jamais son objectif. Il fixe les paysages dans lesquels il s’immerge, superposant sur la même pellicule six à neuf fois des images de ses voyages. Celles-ci tendent à s’effacer comme pour révéler « la saisie aléatoire de la temporalité. »
Et puis nos pas nous mènent jusqu’aux dessins de la série Eden Lake de Pascal Navarro. Si le titre peut nous éclairer dans l’interprétation de ces lignes tracées à main levée, résultat d’un geste répétitif et maîtrisé, l’expérience, ici celle de l’artiste, ne questionne pas seulement son rapport à la temporalité. Dans la série des trois moyens formats, quelques formes blanches en réserve, évocatrices, tranchent avec le fond des lignes horizontales et facilitent le rapport à l’image. Mais le grand dessin, lui, ne dit plus rien. Seules demeurent les eaux noires d’un lac comme le propose le titre générique. Dans le titre du dessin (Les questions que je ne t’ai pas posées n’auront pas de réponse), Pascal Navarro fait l’aveu des raisons d’être de cet exercice systémique et formel : le silence et le temps nécessaires à la réalisation du dessin sont comme la mise en abîme du silence et du temps nécessaires au deuil. Les lignes psychopompes sont comme les ondes noires du Styx ; elles contiennent en elles les heures et les jours qui passent, comme un sablier, et inscrivent sur la feuille de papier le temps nécessaire pour se faire à l’idée de la perte…
Céline Ghisleri