L’Interview
Jean-Marc Montera
A chaque décembre son Nuit d’Hiver. Cette année, ça tombe plutôt bien, car si le festival marseillais monté par la structure que dirige le guitariste Jean-Marc Montera, le GRIM, souffle ses dix bougies, on fête aussi le centenaire de John Cage. L’un dans l’autre : une programmation aux idées larges, principalement axée sur l’œuvre du célèbre compositeur.
Quel a été votre premier contact avec l’œuvre de John Cage ?
Au début des années 80. A l’époque, Cage venait souvent dans la région, à des rencontres de musique contemporaine. Une interview pour Jazz Magazine avait même était réalisée à cette occasion, dans laquelle il se livrait sur le jazz, l’improvisation… Et, étonnamment, il était beaucoup moins avant-gardiste sur ces sujets-là que ce à quoi l’on s’attendait. Mon premier contact avec son œuvre est donc le fruit d’une succession de hasards. Je devais avoir vingt-cinq ans à l’époque. Je viens du rock, et j’ai abordé les musiques contemporaines sur le tard. Ayant emprunté un parcours d’autodidacte, j’ai eu une approche assez décousue des musiques savantes.
Que représente-t-il à vos yeux ?
Sans jeu de mot, il a ouvert des portes. C’est LE compositeur qui a théorisé et mis en pratique l’indétermination en musique, et qui a donné au son une place tout aussi importante qu’aux notes. Aujourd’hui, beaucoup de gens peuvent se revendiquer d’un univers cagien — je pense notamment à Sonic Youth — sans pour autant avoir été des musiciens classiques ayant viré contemporains. L’héritage cagien est une posture intellectuelle, un principe de liberté compositionnelle. On est encore loin d’en avoir fait le tour.
Peut-on dire qu’il a introduit la pop culture dans les musiques savantes ?
Pas lui directement, mais il a permis que ça se fasse. Il en a posé les bases de manière irréversible. On ne peut plus revenir en arrière, le repentir est devenu impossible. Mais attention, Cage n’est pas à la musique ce qu’Andy Warhol est aux arts plastiques, bien qu’il y ait des entrées possibles. Des musiciens de rock peuvent par exemple jouer certaines de ses œuvres, et ce sera cohérent.
En quoi, concrètement, son œuvre a-t-elle été révolutionnaire ?
Déjà par son écriture. Les partitions de Cage, même si certaines sont écrites avec des notes et des portées de façon très précises, laissent une part de liberté à l’interprète qu’on ne trouve pas ailleurs, et qui sont différentes des règles proposées à l’époque par les post-sérialistes. Les champs de liberté y sont beaucoup plus larges, même s’ils sont précisément définis.
Quels ont été ses principaux maîtres à penser ?
L’idée des pianos préparés appartient, à l’origine, à Henry Cowell, qui disposa spontanément des boules en bois (celles dont on se servait pour repriser les chaussettes) directement sur les cordes de son piano, afin d’altérer le son.
Quelle est, selon vous, l’œuvre majeure de Cage ?
C’est difficile à dire. Pour ma part, il y a celles que j’écoute, et celles que j’ai pu jouer, comme Four Six. Une pièce très importante à mes yeux. Elle permet d’aborder l’improvisation avec des gens qui n’ont pas l’habitude de la pratiquer. 4’33’’ est aussi importante, car elle pose beaucoup de questions autour de la composition, le silence, la représentation, la fonction de l’artiste… Toutes les problématiques de la musique moderne.
Comment était-il perçu par ses pairs ?
C’était un ancien élève de Schönberg, qui lui a dit que s’il continuait comme ça, il irait droit dans le mur. Cage lui aurait répondu qu’il allait alors continuer à s’y taper la tête.
On l’imagine avec un petit côté farceur, constamment contredit…
Oui, mais il ne faut pas confondre l’humour et le joke. Effectivement, il avait beaucoup d’humour, mais je ne pense pas que c’était un provocateur.
Pourquoi avoir choisi Christian Wolff comme invité d’honneur du festival ?
Il s’imposait à nous, en particulier parce qu’il reste peu de compositeurs de l’Ecole de New York en activité. Je ne saurais que trop conseiller d’écouter ses pièces pour pianos, et celles pour orgue.
Imaginons que Cage ait trente ans aujourd’hui. Que composerait-il ?
Il est tellement polyvalent… Je pense qu’il serait très sensible à une espèce de noise minimaliste avec des incursions d’événements surprenants. Des intrusions de Françoise Hardy, ou Sonic Youth…
Propos recueillis par Jordan Saïsset
Nuit d’Hiver #10 : du 12 au 21/12 à Marseille.
Rens. 04 91 04 69 59 / www.grim-marseille.com
La sélection de Ventilo, même s’il vaut mieux aller tout voir.
Takumi Fukushima > le 12 à Montévidéo
Une belle découverte. L’aventure en solo d’une des membres du groupe d’improvisation japonais After Dinner, dans une formule intimiste chant/violon à mi-chemin entre traditions nippones, rock et électronique.
eRikm & Natacha Muslera > le 13 au Studio (Friche la Belle de Mai)
Les deux artistes pluridisciplinaires locaux de renommée internationale se plongent dans l’œuvre de Cage et, à l’instar du grand compositeur, comptent bien en découdre avec la périodicité. Mystérieux, mais attendu.
Subspecies + Le Cabaret Contemporain avec Etienne Jaumet (Zombie Zombie) > le 13 à la Salle Seita (Friche la Belle de Mai)
D’un côté, la formation électrique et contemporaine du Marseillais David Merlo, à « l’écriture vivante, en devenir ». De l’autre, un joli pont entre musiques savantes et pop culture, en hommage à Cage.
Ohne Titel (avec Alexander Schellow et Jean-Marc Montera) > le 14 à La Compagnie
Ohne Titel, ou la rencontre entre l’univers de l’improvisation musicale et celui de l’improvisation visuelle, dans le cadre d’une série de performances en forme d’expériences immersives. On signe.
La Terre Tremble !!! + ZA ! > le 15 à l’Embobineuse
Tout le monde parle de la Terre Tremble !!!. Il faut dire que leur dernier album s’avère une des plus belles surprises rock hexagonales de l’automne. Et puis Za !, « dont les parents seraient Zappa et Beefheart »…
Christian Wolff > le 21 à Klap Maison pour la danse
L’invité d’honneur du festival. Ni plus ni moins que « l’un des compositeurs américains majeurs de l’Ecole de New York », dans la lignée de John Cage, rejoint sur scène par Montera et Paul Edwood… Un grand moment.
Jordan Saïsset