Otto Witte présenté au Théâtre du Gymnase
Mémoires d’un âne
Otto Witte ou l’histoire d’une imposture géniale, c’est tout d’abord une création sur mesure pour un acteur et son double animal, en l’occurrence un… âne. Une pièce pied-de-nez, relatant le parcours hors du commun d’un avaleur de sabre allemand qui fut roi d’Albanie pendant cinq jours.
Au-delà du tour de force de faire monter un âne sur une scène de théâtre, la performance suscite l’enthousiasme et l’admiration. Un âne qui joue, un acteur qui braie (parfois) : tout dans cette pièce, sur le fond comme sur la forme, est à l’envers. Un âne sur un trône, auquel l’acteur s’adresse en l’appelant « Dieu », âne-acteur… les doubles se mêlent et se confondent. Dit par un David Mandineau interprétant tous les personnages — tantôt Otto en poils et muscles, tantôt princesse éthiopienne en blanc séduction, tantôt complice turc —, le texte « à vif » de Fabrice Melquiot secoue. Enorme, dérangeant, cet Otto Witte est à l’étroit dans sa tombe. Il en sort et entreprend le récit tumultueux de son existence par ordre chronologique, s’adressant directement au spectateur. Cri de révolte contre la bêtise et l’étroitesse du monde, cette vie au bord du gouffre suscite l’admiration et la terreur. Virevoltant sur scène, grimpant sur son âne, chahutant, prenant le spectateur à témoin, cet Otto Witte fait jaillir le vivant aventurier-escroc, cet homme qui fut tout ou presque dans sa vie et s’est accroché à son rêve avec ténacité. Une aventure après l’autre, toujours plus loin, plus haut, plus fort, la chute n’en sera que plus dure. Cette farce énorme et philosophique est peut-être le dernier pied-de-nez génial par-delà le tombeau d’un fou magnifique qui a traversé notre siècle. Gageons qu’il a dû en rire avec qui de droit, de là où il était, puisque « Dieu est le seul aventurier qui mérite que je prenne le thé avec lui. »
Texte : Bénédicte Jouve
photo : C.RAYNAUD DE LAGE
Otto Witte était présenté du 13 au 21/02 au Théâtre du Gymnase.