L’heure est grave. Et, comme l’a dit ce bon Chronos il y a fort longtemps, « après l’heure, c’est plus l’heure ». Une lapalissade grecque reprise à bon compte ces dernières heures par quelques 12 000 scénaristes américains qui viennent de déclarer, grosso modo, que « trop, c’est trop. » Et, surtout, de se mettre en grève pour la première fois depuis vingt ans, fichtre. Mais pourquoi tant de haine à Hollywood ? Comme à chaque fois que ça coince, l’argent se redécouvre une odeur. Machine à sous infernale, sorte de Las Vegas permanente, l’industrie hollywoodienne n’aime pas recracher les bénéfices engendrés à l’année, récompenser ses croupiers, valoriser ses travailleurs de l’ombre, remonter le moral — et le compte en banque — de ses troupes. Le verdict est donc tombé dans la nuit de dimanche à lundi, à 0h01, précisément, lorsque le syndicat des scénaristes américains, la Writers Guild of America, a « cessé le travail pour une durée illimitée ». Cliffhanger insoutenable, résultat désastreux de plusieurs mois de négociations infructueuses, le clash entre les scénaristes et l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers) était pour le moins inévitable, tant le nerf de la guerre était coincé. Et les protagonistes sur les dents. L’obscur objet du litige ? Une revalorisation des droits d’auteur, refusée en bloc par le numéro un de l’AMPTP, Nick Counter, qui estime qu’« aucune négociation n’est possible en raison d’intérêts financiers supérieurs. » Ça ne rigole plus, donc. Dénonçant une convention collective fossilisée depuis 1988, ne prenant pas en compte le développement des nouveaux supports — téléphones portables, baladeurs numériques, Internet et DVD —, la WGA demande une refonte de ladite convention afin d’obtenir une rémunération en conséquence. Pot de terre contre pot de fer ? Résumons : des « intérêts financiers supérieurs » seraient à l’origine d’une grève qui pourrait coûter près d’un milliard de dollars à l’industrie de la machine à rêves et affecter à court terme plus de 200 000 emplois… Ou comment on se retrouve avec une prise d’otages qui se mord la queue, sans que Jack Bauer, bloqué en pleine neuvième heure, ne puisse rien y changer.
Cependant que les piquets de grève fleurissent entre New York et Hollywood devant le siège des quatorze plus grands studios (Disney, CBS, Paramount, Fox, Time Warner, ABC, Time Warner, etc.), les décideurs et autres annonceurs ont annoncé que « tout allait bien » ; et Juan Carloz Gonzalez, le médiateur fédéral à bout d’arguments, que « l’effet d’une grève n’est pas aussi immédiat que celui d’une grève des cheminots et que les studios, en prévision, ont stocké des scénarios depuis des mois. » Dans l’immédiat, « seules » les émissions quotidiennes devraient pâtir du coup de calcaire des plumitifs qui n’alimentent plus en vannes, depuis hier, les « prime talk-shows » tels que ceux de David Letterman, de Jay Leno ou de la grande prêtresse Ophra Winfrey — qui fera peut-être un peu moins la maligne sans ses punchliners[1].
Pour s’intéresser un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, aux séries TV, la rédaction de Ventilo est à même de vous annoncer que les sériphiles de tout poil auront quoi qu’il en soit du mal à aller au bout de leurs appétences puisque quelques producteurs, et pas n’importe lesquels, ont déjà annoncé que Lost, 24 heures, Desperate Housewives, Prison Break, séries produites d’août à mai, auront du mal à aller à leur terme. Quant au créateur d’Heroes, Tim Kring, il verse carrément dans la sinistrose en annonçant quelques heures après l’ouverture officielle du conflit que « la saison 2 s’arrêterait, sauf coup de théâtre, à Noël. » Prévoyant même le tournage d’un épisode spécial qui clôturera les aventures d’Hiro, Nathan et Claire après onze épisodes, pas Yataaaaaaa, donc…
Pas de quoi se faire hara-kiri pour autant : une autre grève se prépare, avec d’autres enjeux et d’autres conséquences, plus proches de nos préoccupations, que les pertes de profit de quelques nababs hollywoodiens. Si le rêve américain s’effrite, un probable cauchemar français se dessine. A suivre…
Texte : HS Illustration : dB
Notes
[1] Une personne payée pour muscler le discours, à grands coups de vannes ou phrases choc