Retour sur Par le Boudu de Bonaventure Gacon aux Festival des Nuits de l’Enclave à Valréas (84)
Par le Boudu cœur
Pourquoi réécrire sur un spectacle ?
Pour la même raison qu’on le revoit : retrouver un plaisir intense tout en s’exposant à la déception. Si l’œuvre a été marquante et a impacté votre vie personnelle, la responsabilité s’avère d’autant plus partagée.
L’alchimie se renouvellera-t-elle alors entre l’objet artistique aimé qui s’est façonné au fil des représentations, du temps, et vos goûts, votre état du moment, l’actualité ?
Essai avec Par le Boudu de Bonaventure Gacon.
Si l’on connaissait le Cirque Trottola, que Bonaventure Gacon a cofondé, et Matamore, son dernier succès, découvrir son monologue clownesque Par le Boudu il y a deux ans au CIAM avait été un choc mémorable, au point de le placer en référence. Un de ces spectacles que l’on porte très longtemps en soi.
Ce 30 juillet, Par le Boudu fait la clôture des Nuits de l’Enclave de Valréas. Des retrouvailles chaleureuses avec l’accueil généreux des bénévoles qui gèrent en grande partie ce festival, dynamisé il y a cinq ans par l’auteur et metteur en scène Gilbert Barba.
Sur le coquet plateau de l’Espace Jean-Baptiste Niel, la pluie, certes intermittente, s’est invitée, amenant son lot de pannes et faisant planer la menace d’une annulation. Mais Bonaventure Gacon aime la contrainte ; elle est son émulation, sa partenaire au même titre que sa vieille table ou son poêlon. Il en fait son nouveau décor.
Ce soir, les spectateurs sont mouillés et enclins essentiellement aux rires, vu qu’on leur a vendu un clown sans préciser que ce dernier croque des verres et des petites filles en robe rouge. Alors, par petits effets et regards dévorants de tendresse, voire de fond d’âme, Bonaventure, s’amusant de l’averse, les plonge en poésie et les tire peu à peu vers la gravité. Il leur offre au passage quelques glissades comiques sur le sol détrempé pour ne pas les perdre, les tenir à portée d’émotion. Bonaventure capte le public en défiant le temps, jonglant avec le naturel et l’authenticité, chacun pouvant y reconnaître les siens — tel mon voisin qui chuchote « Oh ! On dirait mon pauvre père ! » — ou alors les autres, les différents qui indisposent.
Avec son Boudu dépenaillé, souffre-douleur ou bourreau, naïf et rêveur, Bonaventure Gacon flirte magistralement avec le pourtant casse-gueule déséquilibre physique, psychique et émotionnel pour en faire son ressort de jeu, le sublimer avec excellence via le burlesque et la tragi-comédie. Au premier abord aviné, maladroit, perturbé, dangereux, Boudu n’est qu’ivre de solitude, suicidé de désamour. Et manifestement inoubliable ! Alors que durant une heure, il représente pourtant sur scène les invisibles, les laissés-pour-compte, les pauvres diables qui en sont parfois des avatars.
Par le Boudu est incontestablement une pièce de tous les intimes. Elle peut se voir indéfiniment au gré de la partition interne de chacun que Bonaventure orchestre sur place, dans l’instant, en fonction du climat ambiant, humain et atmosphérique.
Lorsque Boudu, droit face public, scande « C’est moi qui suit là ! », arrivent les gargouillis dans le ventre et résonne l’écho du pourquoi le spectacle vivant nous transporte tellement et de la puissance avec laquelle Bonaventure Gacon l’incarne. Son « moi » marque autant l’intemporalité du spectacle, son ancrage dans le présent, que l’existence trouble et émouvante du double artiste/personnage.
Bonaventure donne de grands coups de pieds dans les rampes qui s’obstinent à ne pas vouloir libérer la lumière et des coups de canifs dans l’idée que l’on peut faire tourner un spectacle pendant quinze ans seulement par gain/succès. Ce qui l’anime est ailleurs, dans le frisson de la rencontre à réécrire soir après soir, la couleur, l’odeur, l’émotion à trouver.
Si avec son Boudu il fait fi des tabous, des différences, bousculant et dérangeant certains spectateurs effrayés par sa noirceur, Gacon fait néanmoins l’unanimité sur son talent. Et confirme les raisons qui ont amené Par le Boudu à devenir une pièce de répertoire, son personnage Boudu une des figures emblématiques du clown et comment, sans tapage, avec son Cirque Trottola et la compagnie l’Entreprise de François Cervantes, il est devenu l’un des acteurs majeurs du cirque contemporain.
Bonaventure Gacon sera très prochainement au cinéma dans Cornelius, le meunier hurlant de Yann Le Quellec et en tournée avec sa nouvelle création, Campana, dans laquelle il partagera la scène avec Titoune et deux musiciens.
Éternellement, Par le Boudu est un Boudu cœur de l’humanité !
Marie Anezin
Par le Boudu était présenté le 30/07 aux Festival des Nuits de l’Enclave à Valréas (84).
Pour en (sa)voir plus : www.parleboudu.fr