Paranoid Park – (USA – 1h25) de Gus Van Sant avec Gabriel Nevins, Jake Miller, Daniel Liu…
Wassup killer ?
Ce qui frappe d’emblée dans Paranoid Park, c’est sa frontalité, son évidence. Evidence d’une forme à la fois ample et fluide. Frontalité des corps adolescents, systématiquement cadrés de face, là où Elephant avançait jadis harnaché aux courbes délicates de leurs nuques. Or, il n’est aucun changement d’angle cinématographique qui soit anodin. Ici, la découverte de ce qui nous attend — le présent immédiat du plan, l’avenir proche du champ — ne semble plus constituer un enjeu majeur. La caméra enregistre ce qui lui fait face afin de mieux en saisir toutes les dimensions. C’est d’ailleurs le mouvement fondamental de l’œuvre de Gus Van Sant depuis Gerry : mettre en place une esthétique de la profondeur dont Paranoid Park constitue à la fois un aboutissement et son fébrile dépassement. Au cœur de cette ambitieuse entreprise, l’image — splendide — de Chris Doyle (chef opérateur de Wong Kar-waï) travaille à la limite du perceptible. Par un savant jeu de cache et de profondeur de champ, l’espace alentour s’enrichit de zones floues, indéfinies et saturées de sons en tous genres. L’ambiance aquatique qui traverse le film doit d’ailleurs beaucoup à cette richesse musicale, naviguant des crissements de roues de skateboard aux mélodies lunaires de Nino Rota. Comme s’il fallait chercher dans l’hybridation un contrepoint sensible à l’(in)action du héros. Comme si l’avenir de l’œuvre se dessinait dans cet au-delà du récit, dans cette capacité à capter ce qui reste de l’histoire, les instants précaires et inutiles de la fiction. Donner de l’épaisseur à la trace laissée par un crayon sur une page, seuls les grands cinéastes en sont capables… C’est désormais une certitude : Gus Van Sant en fait partie.
Romain Carlioz