Rhétor-hic de rue
Il y a eu d’abord un blog, au succès populaire croissant. Il y a désormais un livre, aussi édifiant qu’hilarant. Voisine de Ventilo, Anaïs Bourdet raconte l’étonnante aventure de son projet Paye ta Shnek.
« Bonsoir l’entrejambe ! » Cette approche poétique a été repérée cours Julien et n’est pas isolée. Quelque 3 000 anecdotes, répertoriées sur le blog Paye Ta Shnek — de l’argot alsacien « shnek », qui désigne le sexe féminin — et désormais dans le livre du même nom, viennent compléter cette salutation distinguée. Une banalité de rue ? C’est ce qu’Anaïs Bourdet, créatrice du blog, tient à révéler. « Je me suis d’abord inspirée de la vidéo de Sophie Peeters, une jeune Bruxelloise qui avait filmé en caméra cachée son quotidien parmi les insultes et interpellations des hommes. » Puis il y a l’histoire vécue. Anaïs confie un jour à ses amies une expérience dérangeante : elle a été poursuivie dans la rue. Une conversation qui tourne au confessionnal, puisque victimes de harcèlement, les compères d’Anaïs le sont aussi. Un déclencheur qui la pousse à lancer Paye ta Shnek sur la toile à l’été 2012.
Très rapidement, les anecdotes postées sur le blog font le tour de l’hexagone. De cette initiative personnelle et cathartique devenue projet professionnel, Anaïs ne réalise toujours pas le succès. C’est à Marseille, à la Galerie Seize, qu’elle a fêté le lancement de son livre financé via la plateforme participative Kiss Kiss Bank Bank. « J’estimais le volume du bouquin à 300 exemplaires, mais il a vite atteint les 1000 ! » En janvier prochain, Paye ta Shnek sera réédité chez Fayard, qui distribuera le livre dans les réseaux classiques (librairies, Amazon…).
La réussite de l’entreprise ne tient pas qu’à la grossièreté locale. « Marseille n’est pas plus sauvage que les autres. Le phénomène de la drague de rue se vulgarise dans toute grande ville de France… » Aussi, cette inspirée 2.0 tient à ne rien censurer, par souci de réalisme. « Mon blog est un Grand 8 permanent. On passe du tout au tout : du flippant à l’hilarant… » Et pour éviter de discriminer une classe sociale définie, le système de géolocalisation associé aux témoignages postés permet de comprendre que la grossièreté n’est pas l’apanage des classes (et des quartiers) populaires. Témoin souvent consternant d’une réalité éprouvée sur le bitume, Paye ta Shnek informe mais ne juge point.
Pauline Puaux