Persona. Œuvres d’artistes roumains au Mucem
Persona Grata
Le Mucem s’associe à la Saison France-Roumanie en proposant une exposition d’artistes roumains, en regard avec des œuvres de sa collection.
Des masques, des tapis, des totems… autant d’objets qui font écho à des visages et des corps, des gestes et des rituels, et qui habitent l’exposition Persona. Œuvres d’artistes roumains. « Habiter », car la manière avec laquelle les artistes occupent la grande salle du bâtiment GHR du Mucem relève presque de l’intime, du domestique, du quotidien. L’âme de la tradition traverse ces œuvres contemporaines, presque comme un fantôme que l’on ne voudrait pas chasser.
Que faire du poids des ancêtres ? Faut-il tenter de le porter sur son dos, au risque de disparaitre, comme cet immense tapis qui recouvre presque entièrement le corps d’une femme dans les photographies d’Anca Munteanu Rimnic, auxquelles on fait face en pénétrant dans l’espace ? Ces images sont les témoins d’une performance d’une danseuse qui lutte avec cet objet du sol, le soulève, le porte. Si le motif du tapis est récurent dans l’exposition — bien que les ornements s’avèrent toujours différents —, il n’apparaît presque jamais au sol, où on l’attendrait. Est-ce une tradition roumaine ? Mircea Cantor, lui, en dessine sur les murs, sans pinceau ni crayon, sans encre ni peinture. C’est avec ses mains et du vin qu’il imprime le motif à même la paroi, rappelant un geste ancestral et une boisson qui l’est tout autant. Parfois il les suspend au plafond, comme sa série de tapis volants. L’artiste collabore ici avec une tisseuse reconnue, Victoria Berbecaru, pour réaliser l’objet de manière traditionnelle en y insérant des motifs contemporains : des avions et des anges. Le seul tapis au sol n’en est pas vraiment un : il s’agit d’un véritable puzzle de plus de deux cents pièces en céramique d’Anca Munteanu Rimnic. Fonctionnant comme une carte géographique imaginaire, ses lignes et formes rappellent des frontières qu’on aurait tracées au hasard. Que faire des formes dont on ne peut se défaire ? Răzvan Botiș s’approprie la collection d’un musée de Roumanie en recréant des objets qu’il façonne à son tour en argile. Ces objets, produits spécifiquement pour l’exposition au Mucem, créent un pont symbolique entre l’ancien et le contemporain, mais aussi entre les deux musées.
Que faire des visages et des morts qui nous hantent ? La figure du masque est très présente dans l’exposition, qu’il s’agisse de masques issus des collections du Mucem ou de masques contemporains comme les croquis d’Iona Bătrânu ou les masques folkloriques de Iona Nemes. Traditionnellement, le passage d’une nouvelle année vers la prochaine se fait en masquant son visage lors des fêtes. Cet acte de transition entre l’ancien et le renouveau est doté d’une symbolique forte. La commissaire de l’exposition, Diana Marincu, cite l’ethnologue Iona Popescu : en portant le masque, « l’homme ne se sépare pas de quelque chose, mais va vers quelque chose. » Ce mouvement de transformation est également présent dans le totem réalisé par Anca Benera et Arnold Estefan. Partis de l’élément typique hongrois du totem funéraire où l’on doit voir toutes les particularités sociales du défunt et où chaque forme symbolise une caractéristique (homme/femme, marié/célibataire…), le couple décide d’inventer un autre vocabulaire plus contemporain et de changer les codes. Là où cette forme de sépulture traditionnelle a été reprise par les gouvernements d’extrême droite, les artistes actualisent la grille de lecture en proposant des formes spécifiques liées aux minorités : communauté LGBT, chômeur, travailleur culturel… Olivia Mihălțianu s’intéresse à la figure d’une reine Sioux qui était artiste, et questionne ainsi les préjugés et le statut des femmes dans la création.
Comme ces masques, ces identités artistiques semblent sans cesse s’interroger sur leur appartenance à un avant ou un ici et leur transition vers un après ou un ailleurs. Un entre-deux où cette belle exposition nous transpose.
Mathilde Ayoub
Persona. Œuvres d’artistes roumains : jusqu’au 23/06 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : www.mucem.org