Petits Contes d’amour et d’obscurité © Hélène Bozzi

Petits Contes d’amour et d’obscurité au Théâtre Joliette-Minoterie

Déraison et sentiments

 

Après le tendre et cruel triptyque Passé-je ne sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte et Rabah Robert, Lazare se détache de l’épopée pour nous raconter ses petits contes de la folie ordinaire.

 

Le temps de deux histoires tragicomiques, Lazare tisse un foisonnement de sens et d’images. Leur lien : un plateau sur lequel se dessinent et se meuvent des espaces imaginaires et poétiques, écrins des illusions et des désirs des personnages.
Ceux des Illisibles cherchent leurs mots pour exprimer ce qui les anime. Jérôme, le nanti, sait écrire, possède une voiture transformable, et est fou d’amour pour la belle et aérienne Agnès. Plus pauvre que lui, Léonard, son littéralement double « frenemy » de leur institut La Nichée, lui envie terriblement son fameux véhicule magique. Enfin, Agnès, l’acrobate, figure mythifiée de la femme, objet de tous les fantasmes et captivante sadique pour son adorateur Jérôme, humilie ce dernier lors d’une scène allégorique de bizutage sexuel. La seconde période de leur vie voit les rapports de force basculer. Jérôme, grand patron, Alain Delon et psychiatre à ses heures, devient l’amant d’Agnès qui est mariée à Léonard. La scène boulevardienne de l’amant dans le placard se décline tant et plus, la farce jaillit du décor et les évocations et références se multiplient.
Si, dans Les Illisibles, le glissement vers l’absurde s’opère insidieusement, dans Quelqu’un est Marie, on y entre de but en blanc. Le voyage intérieur se poursuit et on pénètre dans l’inconscient de Marie, veuve de Vladimir qui sombre dans la schizophrénie. Dédoublée, elle boit du vin rouge à même la bouteille de lait et vit dans un monde peuplé par ses hallucinations. Les objets du quotidien, comme le balai de cuisine, prennent vie, et le fantôme gourmand de Vladimir revient et réclame à manger. Il est ici question de biscuit comme on parlerait d’amour. De ce délice tant convoité car l’on espère qu’il nous émerveille et nous rassasie d’émotions.
Dans les deux pièces, les acteurs se saisissent tels des athlètes sous acide de la langue radicalement imagée de Lazare : la parole qu’ils portent se crée en même temps qu’elle se vit. Les mots pleuvent — hélas, un tantinet trop dru par moments — à mesure que les situations s’enchaînent et que les corps rebondissent. On se sent parfois dépassé par l’intensité de l’énergie déployée et le rythme un peu trop frénétique, car c’est incontestablement dans les respirations que naît la poésie, par touches délicates, pauses réflexives, avant de repartir dans le délire riche et turbulent de la pensée.

Barbara Chossis

 

Petits Contes d’amour et d’obscurité de Lazare par la Cie Vita Nova était présenté au Théâtre Joliette-Minoterie du 27 au 29/11