La chose
Tout commence un soir de pleine lune. Nous sommes en 2008. Il est minuit. Trois membres de Radio Grenouille prennent le contrôle des ondes pour des expériences sonores à mi-chemin entre field recordings et montages hallucinés. Six heures durant, l’auditeur est invité à plonger au centre d’un univers délirant au plus près du monde animal. Les rendez-vous s’enchaînent et naissent ainsi les sept Nuits de la Phaune…
Retour en 2013. Malgré la distance qui les sépare désormais, Floriane Pochon, Amélie Agut et Tony Regnauld reprennent leurs poilantes activités, avec la même philosophie, mais sur le web, et 24h sur 24h.
Une web radio… Média en plein essor. Ça paraît presque simple, évident. Et pourtant, le pari est osé. Car si le nombre de sites proposant des playlists balancées à la va-vite est florissant, il reste très difficile de trouver des projets atypiques de la trempe de Phaune Radio : complètement philosophico-poétique, alliant naturalisme émerveillé (on y entend tout le savoir-faire de l’enregistrement en extérieur) et salves délirantes contre la monotonie (tout y est joueur et décalé).
Interviewée par le magazine québécois Urbania, Floriane se souvient de la genèse démoniaque du projet nocturne initial, dans les locaux de Grenouille : « Un jour, on s’est rendu compte que l’émetteur FM arrosait une zone de trente kilomètres alentour et donc, pour une bonne partie, la mer Méditerranée. Donc, par respect pour la diversité de nos auditeurs, on s’est dit qu’il fallait créer des programmes spécifiques pour les planctons… » Une sorte d’écologie sonore en somme. Entre Jean-Jacques Perrey, Otto von Schirach, Tazartès, Radiohead, Pierre Schaeffer, les Monty Python, des brames de cerfs ou des chants d’hyménoptères (vous avez appris un mot), derrière une programmation journalière donc on ne peut plus éclectique, Phaune Radio vous suggère d’en finir avec les frontières. « Là où l’art et la science se rejoignent », tout prend une autre dimension. Les pistes se brouillent. Les références, étonnamment nombreuses, se bousculent. « Un lieu où les choses se passent, se transmettent, un terrain de jeu où les règles sont sans cesse bousculées, pour faire entendre des valeurs réelles : liberté, partage, imagination, puissance de transformation. » Curieuse comme une belette, ne s’interdisant également pas les écoutes en plein air lors de festivals ou de ballades sonores (et désormais disponible sur vos smartphones), Phaune Radio est aussi une grande famille. Une aventure fédératrice qui regroupe des personnes ressources comme Stéphane Jourdan, Clément Baudet et Laurie Guétat, ou bien des artistes, preneurs de sons et autres amoureux de radio de tout poil comme Etienne Noiseau, eRikm, RadioMentale, Yannick Dauby…
Afin de marquer le coup de son lancement, en guise de « faire-part en forme de condensé de ce que nous sommes : tour à tour poussière d’étoiles, petits et grands mammifères, reptiles, insectes ou batraciens, sons hirsutes ou musiques obliques », la radio a mis en ligne une heure de collages intense. Une sorte de cadavre exquis où se percutent les idées les plus improbables autour de la conception et la Naissance. Le résultat est véritablement bluffant, tant par la façon d’y sculpter la matière sonore que par la richesse de ses références. Dans le descriptif, on y croise même côte à côte Guy Debord et King Kong… Fini la normalité donc, vive l’étrangeté. Grâce à Phaune Radio, c’est ainsi tout l’ADN du monde rassemblé dans une éprouvette, perdue dans les hautes herbes.
Jordan Saïsset