Phénomènes – (Inde/USA – 1h30) un film de M. Night Shyamalan, avec Mark Wahlberg, Zooey Deschanel…
L’arbre qui cache la forêt
La limite, paradoxale, du cinéma de Shyamalan a souvent résidé dans sa maîtrise totale de la mise en scène, cette façon de travailler en-deçà des lignes complexes du récit pour mieux emmener le spectateur sur le chemin d’un symbolisme pas toujours aérien. Phénomènes, malgré ses immenses défauts, est de ce point de vue un objet passionnant dans la mesure où il semble d’abord vouloir faire le deuil d’un cinéma obsédé par la question de la profondeur des images. Dès l’incroyable exposition de Phénomènes, où des masses informes s’effondrent dans le vide suivant un rythme de métronome, les plans de MNS dessinent un champ nouveau pas encore aperçu dans son œuvre : une prééminence du gros plan quand la cause du mal demeure invisible dans l’espace obstrué du cadre. Comme si le visage constituait désormais le cœur des interrogations du cinéaste, un territoire vierge où l’on chercherait en vain quelques signes à interpréter. Plus le récit avance, plus le sens s’évapore et plus MNS semble donc s’amuser à brouiller les pistes de son cinéma. Le wonderboy emprunte un chemin jouissif, bancal et volontiers instable — oscillant avec délectation entre comédie low-fi et frayeur champêtre, perdant définitivement son film de vue pour mieux se redéfinir en tant que cinéaste. On peut dès lors regretter qu’il s’embarrasse d’une histoire de couple pas très réussie et soit rattrapé en dernier recours par ses angoisses symbolistes, plaquant à la truelle un discours écologique sur son dénouement. Pour autant, après la force saisissante d’Incassable et du Village, il est plutôt réjouissant de voir ce parfait architecte hollywoodien abandonner progressivement l’apparat de la précision pour se muer en véritable auteur. Instable, certes, mais capable d’éclats de toute beauté.
Romain Carlioz