Pièces meublées de l’association 1000Tavan
À bonne école
À l’initiative de 1000Tavan, l’association des étudiants de l’École supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, la manifestation Pièces meublées propose de déambuler dans les rues d’Aix, de s’immiscer chez les uns et les autres à la découverte des œuvres de vingt étudiants sélectionnés par Lola Vallat, étudiante et commissaire du projet.
« L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom. »
— Jean Dubuffet
En plein polémique autour de l’ESAAix, l’École supérieure d’Art d’Aix dont sont contestés en conseil municipal les montants des subventions allouées à son fonctionnement (on reproche également à Christian Merlhiot, nommé en 2018, ancien directeur de la Villa Kujoyama à Kyoto, de ne pas venir assez souvent au rapport pour justifier des subsides dont la ville lui fait grâce), les jeunes artistes ont choisi de prendre les choses en main.
« Quand on voit le coût de cette école et qu’on nous entrave souvent les budgets des petites associations de quartier, je me pose la question de savoir si on a de grands artistes qui sortent de cette école pour que cela nous coûte aussi cher ? », s’insurgeait Charlotte de Busschère dans La Provence en décembre dernier. Celle qui est actuellement en campagne pour le siège de maire d’Aix-en-Provence attend visiblement un retour sur investissement de la part des étudiants, et oppose les budgets de l’école à celui des petites associations, histoire de mettre un peu plus d’huile sur le feu. On pourra à l’occasion l’interpeller sur ce qu’elle entend par « grand artiste », et lui rappeler qu’à l’exception de Seconde Nature et du 3BisF, Aix-en-Provence fait figure de désert de l’art contemporain dans la région sud.
Rappeler également que l’ESAAix, qui ouvrira ses portes au grand public dans quelques jours (le 8 février), offre aux étudiants, grâce à une équipe de professeurs dont la plupart sont représentés sur la scène artistique nationale (citons notamment Abraham Poincheval en ce moment à la Biennale de Lyon), un enseignement de qualité, avec une spécificité axée sur les nouvelles technologies, et a vu la naissance de festivals comme Gamerz et d’associations comme Seconde Nature. Pour le « grand public », le cycle de conférences où viennent s’exprimer chaque mercredi soir des enseignants, des artistes mais également des théoriciens ayant eux aussi une reconnaissance internationale, offre à l’école un nouvel attrait qui concerne tout les amateurs d’art. Outre sa mission d’enseignement, l’établissement fait donc office de laboratoire et de lieu ressource où la création contemporaine est en phase avec son époque. Dans cette ville où Cézanne fut lui aussi, en son temps, un artiste d’avant-garde en rupture avec les anciens, et sur lequel les Aixois n’ont pas misé un sou pendant longtemps, on peut se réjouir qu’un petit morceau du gâteau récolté par la ville grâce à la figure du peintre soit reversé à sa jeune avant-garde…
Une fois n’est pas coutume, citons ici Bernard Stiegler pour rappeler que l’art sert à produire du discernement et non des stars, et qu’il demeure à notre époque l’une des rares valeurs que l’on ne peut justement pas quantifier.
Peut-être faudrait-il inviter les autres élus du conseil municipal à venir découvrir la proposition innovante de 1000Tavan, faisant fi du déficit de lieux aixois dédiés à l’art contemporain, tandis que Marseille voit de nouveaux espaces ouvrir chaque mois à l’initiative de plasticiens fraichement diplômés. Lola Vallat a donc imaginé cette forme d’exposition éphémère et reproductible dans n’importe quelle autre ville, « une exposition sac à dos » dit-elle, prenant en compte des questions financières, politiques et sociales.
Le vendredi 24 janvier, il s’agira donc de se rendre au rendez-vous donné à l’École d’art à 17h30 et d’entamer le parcours jalonné par les cinq lieux d’une exposition en cinq étapes dans quatre appartements privés et à la Non-Maison. Voilà comment palier l’absence de lieu et de budget ! C’est à la fois une opportunité pour les étudiants qui ont besoin d’éprouver leur travail à la critique du regardeur et une nouvelle posture proposée au visiteur, par un événement hors des galeries et des codes de l’art contemporain, remis en question par un nouveau public arty demandeur de propositions transversales et pluridisciplinaires. Une proposition hors des sentiers battus, à travers laquelle l’art continue à produire du lien social et du discernement.
« Un techno-art social », disait Victor Vasarely, qui théorisa avant tout le monde l’intérêt d’un art accessible à tous dans ses formes et dans ses lieux d’exposition — ainsi que dans ses prix grâce à la reproductibilité. L’idée de Pièces meublées, c’est d’aller vers le visiteur, le curieux, et d’accompagner sa découverte dans un contexte moins codifié que le White Cube.
Souhaitons donc à la manifestation beaucoup de succès, et aux Aixois l’école qu’ils méritent.
Céline Ghislery
Pièces meublées : le 24/01 à Aix-en-Provence. Rendez-vous à 17h30 à l’École supérieure d’Art (1 rue Émile Tavan).
Rens. : 06 50 33 45 88 (Lola) / 06 25 92 53 60 (Morgane) / www.esaaix.fr / www.facebook.com/events/615657425903275/