Pier Paolo Pasolini – La Force scandaleuse du passé
Bêtes, hommes et dieux
Avec Ecrans Voyageurs, l’un des événements cinématographiques phares de Marseille Provence 2013 est sans conteste l’impressionnante intégrale Pasolini.
L’œuvre protéiforme de Pier Paolo Pasolini est sans conteste l’une des plus passionnantes que le siècle dernier ait connu. Au-delà d’une création cinématographique saisissante, l’homme a exploré les frontières infinies de l’écrit (poésie, essais…) et des arts plastiques. Esthète cultivé, observateur aiguisé d’un vingtième siècle en proie au chaos, Pasolini fut avare d’interviews. Le travail inépuisable laissé à ce jour suffit à en saisir l’infinie richesse : c’est à la (re)découverte de l’intégralité de ses films, de son héritage littéraire et pictural, que nous convie Marseille Provence 2013, en partenariat avec de nombreuses structures locales de diffusion artistique de premier plan. Nulle concession dans l’œuvre de Pier Paolo Pasolini : l’âme humaine y est exposée à nu, sans la détacher ni de son environnement (en l’occurrence politique et social), ni de son héritage (particulièrement mystique). Poète avant tout, l’homme a sans cesse réinventé le langage, l’image, le rythme, en funambule composant avec les extrêmes, voire les contradictions, flirtant avec les apories de la condition humaine. Il est impossible de cataloguer, donc de réduire, en quelques concepts le travail de Pasolini, d’où sa puissance. Si ses premiers pas s’inscrivent vaguement dans le néo-réalisme (mais ses cadrages, eux, s’en éloignent), son œuvre bifurque rapidement pour atteindre d’autres sommets. Il y a là une poétique du sacré (l’héritage religieux est présent dans de nombreux films), sans se départir d’une conviction politique et humaniste enragée. Une dialectique bâtie sur le sublime, le sacré et la barbarie, à l’échelle de la nature humaine, comme en attestent Salo ou les 120 journées de Sodome, ou plus encore le sublime Porcherie, le spirituel y côtoyant l’anthropophagie. L’exemple de Médée est également intéressant : pour le seul rôle que Maria Callas accepta au cinéma, a fortiori un rôle non musical et quasi-muet (gageons que Visconti, très proche de la cantatrice et metteur en scène de certains opéras à la Scala, en tira une certaine jalousie), Pasolini conclut sa trilogie sur le mythe, entamée avec L’Evangile selon Saint-Matthieu et Œdipe-Roi, par une composition magistrale où l’essence de l’homme (y compris contemporain) se mêle à l’immanence du temps ancien. Cette rétrospective intégrale est un événement exceptionnel, d’ordinaire réservé à la seule capitale (l’autre), et qui se doit de mobiliser tout être sensible à l’infinie beauté de la poésie la plus pure, mêlée à l’engagement ardent des destinées humaines, politiques et spirituelles. Autour de l’intégrale des films, la manifestation proposera, durant presque deux mois, de nombreuses lectures, conférences, expositions ou présentations de documents d’archives, qui offriront un portrait au plus près de l’âme du poète.
Emmanuel Vigne