Pippo Delbono accueilli par le Merlan et la Criée du 5 au 16/01
La folle lucidité
La Criée (involontairement hors les murs) et le Merlan nous ont offert en ce début d’année un cycle consacré à l’immense Pippo Delbono. Retour sur cet événement pour le moins marquant.
Dans le panorama théâtral contemporain, peu de metteurs en scène peuvent se targuer d’atteindre, de toucher, ou même de frôler la transcendance dans quasi chacune de leurs créations. Pippo Delbono est de ceux-là. Certes, ses sujets de prédilection (l’humanité et l’absurde) lui laissent un immense champ des possibles. Mais cela n’empêche pas le maestro de rester méfiant et d’éviter régulièrement les écueils. C’est justement l’une des forces de l’Italien que de gouverner un théâtre profond ne s’embarrassant pas de fioritures, de tics ou de « tendances » qui viendraient pourrir sa réflexion. Delbono va vers le vital. Il épure, symbolise et désire — avec cette « rage » qui le caractérise — voir enfin cette lumière, la lumière de ceux qui ne s’illusionnent plus que pour l’essentiel. La quête de lucidité conduit, forge plus que toute autre chose son œuvre gigantesque. La preuve avec le magnifique Questo Buio Feroce qui fit l’ouverture de ce cycle. Questo Buio… raconte le rêve d’une vie quand on n’a pas le sida, d’une vie possible. C’est l’histoire de l’équilibre délicat du silence envahissant, de la douleur des regrets. Ça parle de la liberté aussi, de la force de la liberté, inventée ou pas. Les images remarquables dont se sert Delbono (ces acteurs « cabossés », cette interprétation si désarmante de la chanson My Way…) débordent une scène immaculée pour mieux nous submerger. Le metteur en scène nous embarque dans un univers fragile où chaque geste, chaque mouvement dessine l’évidence. Dans son adaptation du drame shakespearien Enrico V, Delbono embrasse là aussi l’évidence, celle du cri, de la guerre. L’évidence de la folie, de la perdition. Sans décor, épuré, avec à peine quelques jeux de lumière, le spectacle donne à voir une autre dimension de la puissance, de la présence de Delbono et de ses préoccupations ontologiques. Seule La Menzogna, dernière création en date, laisse un arrière-goût d’inachevé. Sans trancher dans la manière, mais sans être vraiment convaincant non plus — parce que trop décousu et tombant parfois dans un voyeurisme de mauvais goût —, ce mensonge n’a pas l’ampleur majestueuse habituelle. Toujours est-il que ces expériences scéniques compteront parmi les plus revigorantes et les plus enthousiasmantes de cette morne saison 2009/2010.
Lionel Vicari
Pippo Delbono était accueilli par le Merlan et la Criée du 5 au 16/01.