Pleins feux sur le hip-hop au [mac] et au Mucem
Ça se passe comme ça, chez le [mac]
Plus que l’addition de deux simples expositions, le doublé Hip-hop, un âge d’or au [mac] et Graff en Méditerranée au Mucem constitue une véritable immersion dans ce mouvement emblématique qui a désormais son histoire…
Les deux expositions nous racontent le hip-hop d’une seule et même voix, se partageant notamment celle de Claire Calogirou, commissaire des expositions, tant passionnée par le hip-hop qu’érudite en la matière. Elle dirige les recherches anthropologiques sur le graffiti menées par le Mucem et a ainsi largement contribué à la constitution de ce qui est devenu aujourd’hui la collection la plus importante d’Europe. Une collection de quelques 1 500 pièces que le public pourra découvrir en partie, mais pour la première fois de manière si importante, dans l’une et l’autre de ces expositions. Une partie de leur contenu provient également de collections privées et jusqu’alors inédites.
Des deux expo, Graff en Méditerranée est la « petite sœur ». La plus modeste, selon les mots de Jean-Roch Bouiller lui-même, commissaire aux côtés de Claire Calogirou. Là où son aînée du [mac] se borne à « l’âge d’or », elle se concentre sur le graffiti. Son parti pris est de l’aborder d’un point de vue anthropologique en ciblant l’espace méditerranéen (France, Tunisie, Maroc, Espagne, Italie et Grèce). Anthropologue, elle s’intéresse « à toute les dimensions du mouvement, les œuvres non seulement, mais les outils, les techniques, les sociabilités, les questions de genre, le vêtement, le voyage, l’aspect légal/illégal », nous précise le journal gratuit de l’exposition.
« Lors de nos enquêtes, nous cherchons à rencontrer des représentants de la scène locale, explique Sophie Valiergue, enquêtrice pour le Mucem au Maroc (Casablanca, Fès, Meknès). Lorsque nous en trouvons, nous les interviewons et cherchons avec eux quel objet pourrait les faire figurer, eux et surtout la scène qu’ils représentent, de manière pertinente dans la collection du Mucem. Au Maroc, bien que le hip-hop soit présent depuis les années 90, le graffiti n’a émergé que très récemment (2010). Ses représentants ont entre 19 et 24 ans et évoluent énormément sur les réseaux sociaux. Ils sont bien plus discrets dans la rue. Cela est à mettre en rapport, aussi, avec d’autres facteurs comme, par exemple, le prix de la peinture aérosol qui au Maroc est trois fois plus élevé… Au départ, rencontrer les graffeurs là-bas n’a donc pas été facile. Mais quand ils ont commencé à connaître ma démarche, notamment grâce à l’entremise de Neok, un graffeur français qui s’est installé à Casablanca, ils se sont spontanément présentés à moi. J’ai ainsi eu contact, entre autres, avec Rose, l’une des rares femmes à faire du graffiti au Maroc aujourd’hui, ainsi qu’avec Anass Dou. Ce dernier est graffeur, il intervient la nuit dans les quartiers les plus défavorisés et participe parfois à des concours. Il est arrivé en demi-finale de Arabic Got Talent, ce qui n’est pas rien… Tout cela sans qu’aucun journaliste ne s’intéresse à lui ! On comprend donc qu’il se présente spontanément à quelqu’un qui vient s’intéresser à son travail. »
De la même manière que sur les cimaises du [mac] dans Hip-hop, un âge d’or, on trouvera des œuvres dans les vitrines de la salle d’exposition du Fort Saint-Jean, mais aussi des vêtements, des magazines, des outils, des objets détournés, des photographies, des films, des sculptures… Parfois même du mobilier urbain. Ainsi de ce rideau de fer « prélevé » à Barcelone, peint à l’aérosol par El Xupet Negre. Ou de cet impressionnant blouson, très « gonflant », très hip-hop, propriété du rappeur, bboy, dj et graffeur madrilène Zeta, que l’on peut voir aux côtés de son ghetto-blaster, objet mythique qui fut probablement et à maintes occasions l’un des contours nets du graffiti. Des photographies de Jean-Pierre Maéro immortalisent les premiers pas du hip-hop à Marseille. Des peintures de Nasim, pionnier barcelonais et maître du wild style ou bien encore les percutantes affiches République Islaïque de Tunisie de Jaye, de Tunis. Parmi les échantillons plus ou moins imposants et plus ou moins vintage, on trouvera trace des crew marseillais Posse, B.Vice, 132, Spa, Tko, Rtm ou encore 313. Mais encore, toujours à Marseille, les graffeurs des premières heures Acuz, Dire, Mozes, Came, Seek, Dondea, Ken, Toer, Basto et, last but not least, la graffeuse Shine.
Côté [mac], Hip-hop, un âge d’or s’intéresse aussi au graffiti et à ses contours, mais plus amplement au mouvement hip-hop dans son ensemble, à ses acteurs et à toute les disciplines qu’il recouvre : danse, musique, écriture, mode, cinéma… L’exposition s’inscrit dans la programmation du Printemps de l’Art Contemporain. Thierry Ollat, Sébastien Bardin-Greenberg et Claire Calogirou nous narrent en ces lieux l’histoire du hip-hop, du « copyleft au copyright », à travers une exposition extrêmement riche et généreuse.
De la naissance d’un mouvement pacifiste initié par les Ghetto Brothers dans le South Bronx des années 70 (qu’immortaliseront les superbes photos de Martha Cooper, d’Henri Chalfant, de Rita Fletcher) jusqu’au succès planétaire du hip-hop de 95, tout y est… ou presque. L’histoire du hip-hop est richement documentée par une foule d’objets surprenants qui retracent son histoire, ses instants, ses acteurs, sur les planches ou sur les cartons, dans les rues ou dans les coulisses, des plus revendicatifs aux plus discrets, des plus célèbres aux plus anonymes, et qu’il serait laborieux d’énumérer ici. Il faut aller voir, d’autant que sur place, on peut encore lire entre les lignes : « Si cet article de presse (par exemple) est affiché en cascade, explique Thierry Ollat en désignant un article historique sur le hip-hop dont les pages ont été juxtaposées sur une cimaise, c’est parce le get down est un des principes clef du hip-hop. L’exposition est construite de cette manière, avec plein de références discrètes. »
L’exposition retrace la folie d’une époque où « malgré une situation économique épouvantable, les gens avaient une soif de vivre. C’était au lendemain de la guerre. Les graffitis mettaient alors des couleurs sur les murs gris et rouillés de quartiers sordides. » Transpirant cette époque, l’exposition est porteuse d’un « sentiment de perte », selon les mots de Thierry Ollat, à la manière des « Time Capsules de Andy Warhol que le [mac] avait exposées il y a deux ans. » Un sentiment de perte que nous retrouvons dans les paroles du graffeur marseillais Basto, lorsqu’il affirme qu’il n’y « a plus traces, ou presque plus » de ce qui fut fait sur les murs dans ces années-là à Marseille, et que « beaucoup des anciens, les acteurs de cette époque, ont complètement arrêté de produire », laissant la place à de nouvelles générations, et de nouvelles manières de faire.
Frédéric Vaysse
Graff en Méditerranée : jusqu’au 2/10 au MuCEM à Marseille. Rens. : 04 84 35 13 13 / http://www.mucem.org/
Hip-hop : un âge d’or, 1970-1995 : jusqu’au 14/01/2018 au MAC à Marseille. Rens. : 04 91 25 01 07 / http://www.marseille.fr/